Archives de catégorie : Portraits

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (6)

COUNT BASIE (1904/1984)

ATOMIC Mr BASIE !

Un des disques les plus célèbres de Count Basie (sorti en 1958) s’intitule « The Atomic Mister Basie ». La plupart des thèmes de cet album sont joués sur des tempos ultra-rapides. Véritablement « explosifs » !
En France le grand public va découvrir le nom de Count Basie, paradoxalement, avec une mélodie voluptueuse, jouée sur un tempo ultra lent, « Lil Darlin », le douzième et dernier morceau du 33t. En 1961 Henri Salvador en donne une superbe et langoureuse adaptation : « Tous les matins quand j’sors du lit/Je mets un disque de Count Basie/Il ne m’en faut pas davantage/Pour m’enlever tous mes soucis/Juste un p’tit disque de Count Basie/Un bon p’tit disque de Count Basie/ Basie! Oui! ». Les paroles françaises sont signées Frank Ténot et Daniel Filipacchi, les animateurs de la mythique émission d’Europe 1: « Pour ceux qui aiment le jazz » !
C’est donc grâce à Salvador, ultra populaire dans les années 60, que le patronyme de William Basie dit Count, est devenu connu dans l’hexagone. Bien au delà du tout petit monde des jazzfans premium français. Mais, dans le monde entier, les passionnés de jazz, et ce, depuis la fin des années 30, considéraient déjà Count Basie comme un très grand nom du jazz. Rival de Duke Ellington. Rivalité très amicale puisque les deux grands orchestres enregistrèrent même ensemble en 1961 un assez incroyable disque « The Count rencontre The Duke » ! Basie et Ellington : deux talentueux pianistes et chefs d’orchestre, reconnus unanimement comme deux très grands maîtres du jazz swing.
Le parcours de Basie est singulier. Dans les années 20 il vit à Harlem, haut lieu du jazz naissant. Il y fréquente des grands pianistes (comme Fats Waller) et écoute leurs conseils… Mais sa carrière va décoller lorsqu’il décide de s’installer à Kansas City en 1928. S’il est bien connu et incontestable que La Nouvelle Orléans, Chicago et New York ont joué une rôle capital dans la naissance et le développement de la musique de jazz, la place de Kansas City dans l’histoire de la musique afro-américaine est moins notoire. Pourtant cette grande cité/carrefour située au centre des USA, sur la route entre New-Orleans et Chicago, connue au début du XXème siècle pour sa vie nocturne effrénée, est dans les années 30 le théâtre d’une intense activité musicale créative. Clubs et salles de concerts y sont fort nombreux et programment beaucoup d’orchestres de qualité. La ville devient laboratoire et vitrine de la musique noire en évolution. Le jazz dit « de Kansas City », y apparaît. C’est le middle jazz : le jazz du milieu ! Entre le jazz nouvelle-orléans né au milieu des années 20 et le jazz moderne à venir, dans les années 40.
La spécialité de Kansas City ce sont les jam-sessions (jam=mélange !), décrites par les historiens du jazz comme homériques et marathonesques. Les jams sont les moments où s’affrontent, se défient et se mélangent, jusqu’à l’aube, après le « travail ordinaire », les musiciens de différents orchestres programmés en ville ou de passage… En quelque sorte l’« after work » de l’époque !
Count Basie s’intègre progressivement à plusieurs orchestres novateurs de Kansas-City et devient très recherché pour ses qualités d’accompagnateur et de soliste. La mort du leader du grand orchestre dans lequel il joue l’amène à le remplacer puis à créer son propre grand orchestre, pour lequel il recrute moult talentueux saxophonistes « velus ». Un saxophoniste « velu », spécialité de Kansas City, a un gros son chaleureux, puissant, très « hot »… Impressionnant. Basie en emploiera pendant toute sa carrière. Mais il est très ouvert et il utilisera aussi des saxophonistes au jeu plus « cool ». Comme son ami le célèbre saxophoniste Lester Young au son « détimbré », et au vibrato léger. Basie jouera subtilement des contrastes entre ses différents saxophonistes « hot » et « cool »…
Etonnant : le guitariste Freddie Green, véritable métronome humain jouera, indéfectiblement, aux côtés de Count. Hyper efficace pour assurer le bon tempo de l’orchestre. Sans jamais prendre de solos !
Jusqu’à la fin de sa vie Basie se produira avec ses big bands, magnifiques « usines à swing ». Dont une des spécialités était l’utilisation massive, dans les arrangements, de riffs. Le riff est une courte phrase mélodico-rythmique, jouée plusieurs fois d’affilée… Hyper swinguante.
Au piano Count jouait d’une manière très économe. Mais spectaculaire… Avec deux doigts et 3 notes ultra simples, « clinq, clinq, clinq », Count offrait plus de musique que certains virtuoses « speedés » du clavier !


Pierre-Henri Ardonceau

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (5)

Duke ELLINGTON (1899 – 1974)

DUKE ELLINGTON

L’ARISTOCRATE DU JAZZ

Beaucoup de musicologues et historiens du jazz qualifient Edward Kennedy (dit « Duke ») Ellington de génie. Son œuvre immense a résisté au temps et aux modes. Il est aujourd’hui encore source d’inspiration, pour d’innombrables jazzmen.

Ses parents font partie de la bourgeoisie noire de Washington. Sa mère, très distinguée, lui inculque les bonnes manières et son père lui apprend l’importance d’avoir confiance en soi. Un de ses camarades impressionné par sa distinction « naturelle » le surnomme Duke… Surnom qu’il portera avec grâce et dignité tout au long de sa vie. Adolescent, il est attiré par les arts plastiques, ce qui pourrait expliquer sans doute une approche de coloriste en tant que futur instrumentiste et compositeur. A 16 ans il sent naître en lui une vocation de musicien. Il débute pendant quelques années comme modeste pianiste de ragtime dans un bar de Washington. Dès 1920 il s’installe à New-York, attiré par le succès du jazz « swing », très populaire dans les clubs New-yorkais. En 1925 il crée un grand orchestre. Et, jusqu’à la fin de sa vie ses « big bands » vont triompher dans le monde entier.

Un big band ellingtonien c’est: une section rythmique avec Duke au piano bien sûr, contrebasse, batterie, 5 ou 6 saxophonistes, 3 ou 4 trombonistes et 4 ou 5 trompettistes… Soit entre 15 et 17 musiciens sur scène: spectaculaire et impressionnant! Dans le Duke Ellington Orchestra vont jouer quelques-uns des plus brillants solistes de l’histoire du jazz. Remarquable : la plupart d’entre eux lui sont restés fidèles pendant de très longues périodes. Un des aspects essentiels de son génie c’est qu’il a su choisir parfaitement ses musiciens. Il s’est entouré des instrumentistes les plus qualifiés pour donner pleine vie à ses arrangements et les prolonger par leurs superbes improvisations. Les partitions de Duke tiennent compte du tempérament des interprètes tout autant que de leurs qualités musicales. Pour obtenir d’eux le maximum, il joue en virtuose de la relation affective qui existe entre lui et chacun de ses musiciens. Sans eux, sa musique n’aurait pu atteindre des sommets aussi élevés. De leurs côtés, ses musiciens avaient besoin de Duke pour faire éclore tous leurs dons. Preuve en est que, loin du maître, même les plus doués d’entre eux se sont parfois montrés moins convaincants.

Auteur de thèmes et arrangeur, le Duke fait preuve d’une fertilité et d’une inventivité étonnantes. Non seulement il enrichit le jazz de quelques-unes de ses plus belles mélodies, mais il obtient avec certains de ses airs un succès populaire considérable.

Il a créé, à la fin des années vingt, le style jungle, fondé sur l’opposition entre l’hyper-expressionnisme des cuivres (sonorités brûlantes, rageuses, rauques, obtenues à l’aide de la fameuse sourdine « wa-wa ») et la flexible rondeur des saxophones.

De 1927 à 1931 son orchestre est la vedette du mythique « Cotton Club » de Harlem. L’exotisme du style jungle ravit le public blanc (et riche…) qui emplit chaque soir le prestigieux et luxueux cabaret. Mais… les musiciens noirs n’ont pas le droit d’aller dans la salle à la rencontre du public ! Ils sont cantonnés aux coulisses. Ségrégationnisme brutal oblige…

Duke a composé (et co-composé) des centaines de thèmes. Un des plus populaires est certainement Caravan. Mais le titre de l’un d’eux résume bien sa vision du jazz : « Cela ne signifie rien s’il n’y pas le swing » ! Un manifeste…

Lorsque à la fin des années 40 le jazz moderne (le be-bop) nait, il fait savoir que, pour lui, ce style est riche et tout à fait dans la continuité logique de l’évolution du jazz « classique ». Il se refuse à participer aux querelles qui font florès à l’époque sur le « vrai et le faux jazz ». Pour lui « Il n’y a que deux sortes de musique, la bonne et la mauvaise ». A 64 ans, il enregistre au piano avec des géants du jazz (très) moderne : comme Charles Mingus ou John Coltrane. Une preuve de plus de son étonnante ouverture d’esprit. Il a donné beaucoup de concerts et enregistré de nombreux disques avec Ella Fitzgerald. Tous remarquables. Il a su parfaitement accompagner et stimuler Ella quand elle se lançait dans de vertigineuses improvisations en scat (imitation vocale d’instruments avec des onomatopées).

Ses mémoires « La musique est ma maitresse » sont passionnantes. Mais… la musique ne fut pas la seule maîtresse de ce grand et élégant séducteur !

Premier jazzman reçu à la maison Blanche. Décoré de la Légion d’Honneur en France.

En 1974 plus de 12 000 personnes ont assisté à ses funérailles.

Duke a traversé toute l’histoire du jazz, du ragtime à l’avant-garde.

Pierre-Henri Ardonceau

Dans 15 jours : Count Basie

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (4)

Sidney BECHET (1897 – 1959)

Sidney Bechet

Monsieur « Petite Fleur »… mais pas que !

Sidney Bechet fut en France dans les années 50 et jusqu’à sa mort, une vedette ultra-populaire. Mais sa carrière, brillante… et mouvementée, avant son installation dans notre pays à partir de 1951, est peu connue du grand public. Elle mérite d’être rappelée car étonnante et prolifique.

Né à la Nouvelle-Orléans dans une famille créole, il se révèle surdoué à la clarinette dès son plus jeune âge. A 17 ans il participe déjà à moult concerts aux USA. A partir de 1919 et pendant plusieurs années il joue à Londres dans différentes formules orchestrales. Le suisse Ernest Ansermet, prestigieux chef d’orchestre symphonique, présent à un de ses concerts londoniens, écrit : « S. Bechet est un extraordinaire virtuose de la clarinette, un artiste de génie. Il ne veut rien dire de sa musique sauf qu’il suit sa propre voie… et c’est peut-être la route sur laquelle le monde entier swinguera dans l’ avenir ». Belle prémonition, car le jazz n’est alors pas encore né ! En 1921 suite à une bagarre dans un pub il est expulsé d’Angleterre. Première manifestation de son tempérament emporté… De retour aux USA, il a la « bougeotte », et reprend concerts et tournées. Il abandonne la clarinette après avoir acheté un saxo soprano… Ce saxophone est en métal, la clarinette est en bois. Ce qui le séduit dans le soprano c’est qu’il a un son puissant, ce qui n’est pas le cas de la clarinette. Le soprano lui permet de faire (presque) jeu égal avec la trompette qui est l’instrument roi des débuts du jazz. Cela convient bien à son immense égo. Il enregistre en 1924 avec Louis Armstrong : deux stars du jazz naissant déjà réunies ! En 1925 la Revue Nègre, avec Josephine Baker triomphe à Paris. Il fait partie de l’orchestre qui l’accompagne. Après avoir quitté la Revue il joue en Europe et dans des clubs parisiens. En 1928 à la suite d’une rixe, avec coups de feu, dans un cabaret proche de Pigalle, il est condamné à 18 mois de prison puis expulsé. La crise de 1929 et ses conséquences désastreuses pour les musiciens l’amène à ouvrir à New-York un pressing et une échoppe de tailleur ! La « vie en zigzag » encore… Mais avant la seconde guerre mondiale il connait à nouveau une période très créative. Il dirige des petites formations, qui tournent beaucoup et enregistre de nombreux chefs d’oeuvres pour des labels prestigieux. Etonnant : en 1941 il enregistre, seul, le thème « The sheik of Araby » en multi-pistes. Sur ce morceau c’est donc lui qui joue de tous les instruments en superposant les prises de son ! Assez incroyable pour l’époque et vraiment innovant.

En 1949 il est invité au 1er Festival International de Jazz de Paris par Charles Delaunay. Delaunay est le fils de Sonia et Robert Delaunay, les deux célèbres peintres. Mais il est aussi impresario de Django Reinhardt, responsable de la revue Jazz Hot et futur fondateur des mythiques disques Vogue… Un grand monsieur dans le monde du jazz d’après guerre. Grâce à ses relations, Delaunay obtient des autorités judiciaires l’autorisation pour S.Bechet (qu’il considère comme un géant du jazz) de revenir en France. Le jazz nouvelle-orléans connait un succès considérable en France depuis la libération dans les « fameuses » caves de Saint Germain des Près (et au delà). Bechet, qui pratique ce style au plus haut niveau de créativité, triomphe lors de ce festival de 1949. Il décide alors au début des années 50 de s’installer en France. Enfin « apaisé »… Il s’entoure d’excellents musiciens français de jazz traditionnel comme, entre autres, le clarinettiste Claude Luter. Et jusqu’à sa mort, en 1959, ses très nombreux concerts font le plein dans tout l’hexagone, mais aussi en Europe.

Sa popularité est immense. En 1955 ses admirateurs cassent les fauteuils de l’Olympia… Bien avant l’arrivée des rockers ! Il compose et enregistre des tubes : « Dans les rues d’Antibes », « Les Oignons » et bien sûr « Petite fleur ». Combien de nos lecteurs d’un certain âge, comme on dit, ont dansé et flirté sur « Petite Fleur », tube incontournable dans les boums des années 50? Certainement beaucoup ! Des jazzfans pointus firent les grincheux : « le vibrato exagéré de ses solos », était, pour eux, d’un « sentimentalisme trop mielleux ». Les amoureux de Bechet se moquaient de telles prises de position péremptoires… Les ventes de disques atteignent des sommets… Le festival d’Antibes Juan les Pins fut crée en 1960 en son honneur… Décédé il ne put y jouer. Son buste est installé dans la belle pinède de la ville.

Pierre-Henri Ardonceau

Dans quinze jours : Duke Ellington.

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (3)

Mister Jelly Roll Morton (1885 – 1941)

L’extravagant Mister Jelly Roll Morton
Le parti pris des chroniques bi-mensuelles « Grands Noms du Jazz » est de publier des portraits de  jazzwomen et de jazzmen dont le nom est supposé être connu du grand public, hors du cercle des jazzfans «premium» (celui des spécialistes pointus et des érudits…).
La chronique de ce jour fait exception car le nom de Jelly Roll Morton, étonnant personnage des tous débuts de l’histoire du jazz, «parle» surtout aux historiens de cette musique. Pourtant, à plus d’un titre, il nous a paru intéressant, d’inclure Ferdinand Joseph Lamothe (son véritable patronyme!) dans notre série d’articles quinzomadaires…
D’origine créole et française (son année de naissance exacte n’est pas connue : 1885 ou 1890?), pianiste brillant, il est très populaire à La Nouvelle-Orléans, au début du XXème siècle, en tant qu’interprète,  virtuose impressionnant, du ragtime. Cette musique syncopée a joué un grand rôle dans la naissance du jazz. Le ragtime est agréable à écouter mais c’est une musique «rigide», assez «figée». Les thèmes de ragtime se jouent à partir de partitions. Ou sont joués à partir de «rouleaux» pour les pianos mécaniques… A la différence du jazz le ragtime ne swingue pas et ne se prête pas aux improvisations… Jelly Roll va faire évoluer le ragtime en le transformant en une musique plus aérée, plus souple. Ouvrant ainsi la voie aux grands pianistes swing des années 30 comme Duke Ellington ou Count Basie.
Dans les innombrables «établissements de plaisir» de New-Orleans des ragtimes, sont joués sur le piano qui trône dans les salons «d’accueil». Ils sont destinés à créer une atmosphère «guillerette», très utile pour faire patienter les clients…
Dans son film, fort choquant, «La petite», Louis Malle, met en scène, longuement, la «mise aux enchères» d’une très jeune fille dans une «maison close» de la capitale de la Louisiane. Malle a dédié ce film à Jelly Roll Morton! Et son personnage est évoqué dans plusieurs scènes…
Jelly Roll ne se contentait pas de jouer dans les bordels, il fut aussi proxénète et fier de l’être.
Tout jeune il est déjà riche et célèbre à Storyville, le fameux quartier des «lanternes rouges» («Red Light Quarter»). Lanternes qui indiquent la porte d’entrée des « maisons de tolérance »…
Flambeur, il joue. Au poker. Beaucoup. Au billard aussi. Aux dés. Il porte des vêtements luxueux. Fréquente les truands. Il se fait incruster un diamant dans une incisive… C’est son hyper activisme sexuel, dont il se glorifie (il se pavane souvent avec deux belles femmes à ses bras!), qui l’a conduit à choisir un pseudonyme assez transparent : «Jelly Roll». Les musiciens afro-américains raffolent du « slang ». Un argot codé où les références salaces abondent. Dans cet argot le «jelly roll» est un « gâteau roulé ». Allusion évidente au sexe masculin!
Pendant de nombreuses années il va être pianiste itinérant. Musicien nomade il sillonne avec succès les Etats Unis… mais garde La Nouvelle-Orléans comme port d’attache. Il joue fréquemment à Chicago (avant même que cette ville ne devienne la capitale du jazz naissant dans les années 20). S’installe pendant 5 ans à Los Angeles où il devient éditeur de partitions. Compositeur prolixe et brillant il gagne beaucoup d’argent avec cette nouvelle activité.
Il fait imprimer des cartes de visite sur lesquelles il s’auto-proclame «inventeur du jazz»!

De 1926 à 1929 c’est l’apogée de sa carrière. Il fonde plusieurs orchestres considérés par les historiens du jazz comme vraiment innovants. Le plus populaire est les « Red Hot Peppers » (les « chauds » piments rouges!). Ses arrangements et compositions, enregistrés par des labels prestigieux, sont d’une grande modernité. Ses disques se vendent bien.
Mais, plus que jamais il est arrogant, désagréable, fanfaron, prétentieux et donneur de leçons. Il se met ainsi à dos le petit monde du jazz naissant.
En 1936, victime de la crise économique, il se retrouve pianiste de bar, dans un établissement fort modeste.

Un musicologue, Alan Lomax, le re-découvre par hasard et enregistre pendant de longues heures, ses incroyables souvenirs. Lomax tire de ces entretiens un livre passionnant.
Morton retrouve en 1939, à un moment où le style « new-orleans » revient à la mode, le chemin des studios d’enregistrements mais cette « renaissance » est de courte durée. Malade il meurt, quasi anonymement, en 1941.
Plusieurs albums publiés sous nom lors de ses périodes flamboyantes sont réédités régulièrement et témoignent de son talent et de son originalité. Certaines de ses compositions sont aujourd’hui encore jouées par de très grands jazzmen. Wynton Marsalis (l’idole de Jazz in Marciac) et Charlie Mingus ont écrit des thèmes qui lui sont dédiés. On trouve sur internet moult témoignages, à découvrir, de ses talents multiformes.

Pierre-Henri Ardonceau

Prochaine chronique: Sidney Bechet.

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (2)

LOUIS ARMSTRONG (1901/1971)

Louis Armstrong (père du jazz, star mondiale) est né à la Nouvelle-Orleans, dans une famille pauvre et désunie. Tout jeune, laissé à lui même, il exerce avec débrouillardise beaucoup de petits boulots. Il chante dans les rues. A onze ans après avoir tiré en l’air, une pratique courante lors des soirées festives du nouvel an, il est envoyé dans un foyer pour enfants de couleur abandonnés. Pauvre et black… double malédiction au début du 20ème siècle dans les états du sud des Etats Unis où règne la ségrégation raciale. Mais ce qui aurait pu être une malédiction pour le jeune Louis va se révéler une chance. Car dans la maison d’éducation où il est pensionnaire il apprend à jouer du cornet. Il se révèle très doué sur cet instrument. Plus tard il optera pour la trompette. Dès sa sortie il joue dans les fanfares, dans les bals, dans les cabarets de Storyville (le quartier « chaud » de la Nouvelle Orleans) et il est recruté dans les orchestres des luxueux bateaux à aubes qui remontent le Mississippi. King Oliver star de la trompette dans la capitale de la Louisiane le prend sous son aile.
La fermeture du quartier des plaisirs en 1917 a entrainé l’exode de nombreux musiciens vers Chicago (où les gangsters accueillent à bras ouverts les jazzmen dans leurs luxueux cabarets). King Oliver installé à Chicago depuis quelques années y triomphe avec son « Creole Jazz Band ». Il demande à Armstrong de le rejoindre au début des années 20 et l’intègre dans son orchestre comme deuxième cuivre. Louis s’y révèle très vite brillant et il devient l’attraction du groupe. Il épouse la pianiste de l’orchestre Lil Hardin. Issue de la bourgeoisie noire, Lil est très cultivée. Lorsque Louis est arrivé à Chicago elle l’a trouvé un peu plouc! Elle va le métamorphoser: changement de look, régime amincissant. C’est elle qui va diriger et booster sa carrière pendant quelques années. Elle impulse la création de deux orchestres mythiques dont Louis est la vedette: Les Hot Five et les Hot Seven où Armstrong est mis en valeur. Après la maison d’éducation… Lil fut la deuxième grande chance d’Armstrong.
Il devient aussi tête d’affiche  dans les clubs new-yorkais, en multipliant les aller/retours NY/Chicago. Au milieu des années 20 son jeu de trompette devient impressionnant: puissant, original.
En 1927 son solo sur le thème West End Blues est considéré comme un chef d’oeuvre absolu. Pour les historiens du jazz il signe là les véritables débuts du jazz. Pour Maurice André, le très grand trompettiste classique, ce morceau est un « monument » incontournable de la trompette, tous genres confondus. Beaucoup de trompettistes l’ont appris par cœur en tentant de le jouer à la note près.
Entre 1923 et 1930 il participe à plus de 300 enregistrements et tourne beaucoup aux USA. L’ Europe commence aussi à s’intéresser à lui. Le célèbre imprésario français Jacques Canetti, grand découvreur de talents, l’invite à Paris en 1934 et lui trouve de très nombreux engagements. Mais le jeu d’Armstrong, tout en puissance et générosité, abîme gravement ses lèvres, qui saignent après les concerts. Il demande à Canetti d’alléger le nombre de ses prestations. Face au refus de celui-ci, il rompt son contrat et rentre aux USA. Après une période de repos sa carrière repart de plus belle.
Acteur dans des « soundies » (ancêtres des scopitones) et dans de nombreux films, il multiplie aussi, à nouveau, enregistrements et concerts.
Il devient populaire bien au delà du cercle des jazzfans.
Dans les années 50 il forme un sextet qui joue dans le style New Orleans qu’il « revisite ». Ce sextet tourne dans le monde entier. Il devient « ambassadeur » culturel des USA.
Il chante souvent en « scat » : brillantes et surprenantes improvisations vocales à partir d’onomatopées. Sa manière de métamorphoser et de magnifier des chansonnettes a beaucoup contribué à sa célébrité auprès des publics populaires, comme pour C’est si bon ou La vie en rose. Sa version d’Hello Dolly fut un tube mondial.
Sympathique, toujours souriant, drôle. Son humour est souvent surprenant. Lors d’une rencontre avec le pape Paul VI, qui lui demandait s’il avait des enfants, il répondit « Non et pourtant avec mon épouse on s’entraîne tous les soirs ! ».
L. Armstrong est mort à 69 ans. Il a donné des concerts pratiquement jusqu’à la fin de sa vie.

PS:Sur internet de nombreux fichiers audios et vidéos d’Armstrong sont à visionner ou à écouter. Un régal!

PH Ardonceau

« BLUESANIA » – Julien Brunetaud

Sortie imminente du dernier album de Julien BRUNETAUD « BLUESANIA« . Comme à l’habitude un mélange de compositions de l’auteur et de reprises, de très grande qualité autour du blues et du boogie.
Julien BRUNETAUD (Chant, piano, composition).
Kevin DOUBLE (Harmonica).
Patrick FERNE Contrebasse)
Igor PICHON (Guitare).

« Mon premier périple en Louisiane, c’était la Nouvelle Orléans, j’avais à peine vingt ans. Dèjà accro à cette musique je suis parti sur les traces de Professor Longhair et James Booker ou de Roosevelt Sykes, pour sentir l’héritage énorme qu’ils avaient laissé. En écumant les clubs, du Maple Leaf au Tipitina’s j’essayais d’integrer quelques éléments dans mon jeu. Puis je me suis retrouvé par magie, au Vaughan’s Lounge, comme dans un vieux Juke Joint, à marteler les ivoires toute la nuit et enchainer une série de concerts où l’expérience a dépassé mes rêves. Le Blues est encore plus brut en remontant le Mississipi, j’allais sur les pas d’Otis Spann, qui a marqué mon jeu d’une empreinte indélébile.

« BLUESANIA » est fait de 6 compositions et 6 reprises, influencées par ces voyages et les rencontres que j’ y ai faites. A la base je voulais enregistrer un Piano solo mais cela m’a semblé évident d’inviter mon ami Kevin Doublé puis Patrick Ferné et Igor Pichon pour sublmer le son accoustique de cet album. Aux prises de son j’ai fait appel à Christian Gaszczuk, réputé pour son traitement très naturel.

Comme Otis Spann l’avait fait pour enregistrer Otis in The Dark, eteignez la lumière et laissez-vous emporter par ce vent de Blues Louisiannais. »

Julien Brunetaud

Un extrait en duo au cours d’un concert à Cagnes sur Mer le 11/08/2023

RV avec Pierre BOUSSAGUET

Pierre Boussaguet, c’est un peu la mascotte de PAU JAZZ. Il est venu nous voir souvent et nous le réinviterons, c’est sûr.

Son maître, le légendaire Ray Brown, lui donna un jour un curieux conseil :
« Rends-toi dans un champ et brûle tous mes albums ! Tu n’en n’as plus besoin…Tu dois maintenant voyager, explorer et c’est cela qui révèlera le contrebassiste, le musicien que tu es ».
De nombreuses années passées ensuite auprès de Lalo Schifrin et du regretté Michel Legrand ont définitivement convaincu Pierre Boussaguet :
Les chapelles, très peu pour lui !
Bien sûr, le swing reste sa colonne vertébrale !
Mais, le classique, la chanson, le funk, le tango, la valse…Tout ça fait partie de lui !
Lui qui a appris les bases du métier en animant des bals !
Cette richesse, cet éclectisme se retrouvent sur le projet « Meeting Point »…Un double CD, disponible sur son site, débordant de musique et de générosité et pour lequel Pierre Boussaguet s’est entouré des gens qu’il aime :
TSF JAZZ du 06/12/2021

Pour la sortie de son nouveau disque « MEETING POINT », avec
La violoniste Sharman Plesner, le batteur André Ceccarelli, plusieurs pianistes : Giovanni Mirabassi, Hervé Sellin, et Jean-Michel Bernard…
De Natalie Dessay à Claude Egéa, en passant par le trompettiste Eric Giausserand qui l’accompagne ce midi dans Deli Express !

Ecoutez le podcast du 06/12/2021 où Pierre Boussaguet est reçu à TSF JAZZ.


Ecoutez le podcast du 06/12/2021 où Pierre Boussaguet est reçu à TSF JAZZ.

Vincent Bourgeyx

Vincent Bourgeyx

Né à Bordeaux en 1972, il commence l’étude du piano à l’âge de 7 ans. Après des études de musicologie à l’Université de Bordeaux, il intègre le Berklee College of Music de Boston où il restera 4 ans. Il forme alors son propre trio américain avec lequel il jouera régulièrement aux USA et au Japon.
Vincent Bourgeyx sera le premier étudiant à obtenir le prix du fameux Billboard magazine, qui lui permettra de terminer ses études gratuitement. Diplômé de l’école en 1997, il s’installe ensuite à New York où il devient un membre très actif de la scène new-yorkaise. En 1998 Vincent fait partie du quartet du légendaire tromboniste Al Grey, avec qui il tournera jusqu’à la mort de ce dernier, en février 2000. Pendant plus de 5 ans, Vincent Bourgeyx est aussi membre régulier du quartet de Jane Ira Bloom avec Mark Dresser et Bobby Previte. Aux Etats-Unis, Vincent Bourgeyx a l’occasion de travailler avec les musiciens suivants : les saxophonistes Ravi Coltrane, Mark Turner, Billy Pierce, Craig Handy, Donald Harrison, Eric Alexander, Richie Cole, Greg Tardy, Grant Stewart,

Marcus Strickland …. Les batteurs Bobby Durham, Ralph Peterson, Antonio Sanchez, Ari Hoenig, Matt Wilson, Nasheet Waits, Tom Rainey, Ali Jackson, Tommy Campbell… Les chanteuses Jane Monheit, Claudia Acuna, Elisabeth Kontomanou et bien d’autres musiciens, comme Chuck Mangione, Julian Priester, Joe Locke…
Vincent Bourgeyx a également enseigné le piano au Koyo Conservatory de Kobé, au Japon, et participé à des Master Class concerts, au Berklee College of Music de Boston, avec Jane Ira Bloom et à l’International Association of Jazz Educators, en 1998 et 2001.
Vincent Bourgeyx a enregistré de nombreux disques en tant que sideman, avec différents labels américains, européens et japonais et quatre disques en leader. Depuis son retour en France, il s’est déjà produit avec des musiciens hexagonaux de tout premier plan comme Sylvain Beuf, Jean-jacques Avenel, Pierre Boussaguet, Médéric Collignon, David El-Malek, Sara Lazarus, Laurence Allison, Linley Marthe, Stéphane Belmondo, Stéphane Huchard…
Il obtient un prix de soliste au Concours Jazz de La Défense en 2003. Il est aussi l’auteur de musique pour le cinéma et écrit notamment la musique de BLACKMAIL d’Alfred Hitchcock.

Jacques MORGANTINI

Jacques MORGANTINI : QUI EST CE?
Par Bruno PFEIFFER (membre l’Académie du Jazz)

morgantini02A partir de 1945, le gratin du blues américain passe par la région Midi-Pyrénées grâce à Jacques Morgantini, bras droit d’Hughes Panassié, fondateur et figure du Hot Club de France.

morg01Photo : Avec John Lee Hooker

Ce fils d’un ingénieur du son, fonde en 1945 la section de Pau du Hot Club, la structure associative qui lui permettra d’organiser des concerts de Blues. De Muddy Waters à John Lee Hooker en passant par T-Bone Walker ou Buddy Guy, des dizaines de bluesmen lui doivent la notoriété, et surtout des archives sur eux-mêmes… lesquelles n’existent même pas aux USA! Sans compter des heures d’enregistrements uniques. Comment ne pas vibrer en entendant Sister Rosetta Tharpe hurler Let’s Shine! Ne pas s’émerveiller de Luther Allison qui soulève le public de Pau en 1977, sur Sweet Home Chicago! De Memphis Slim! De Wilie Mabon! De Big Joe Williams! De Koko Taylor, enfin, en 1973, dont la véhémence naturelle explose! Dans le DVD Mémoire de Blues, Morgantini évoque les prestations historiques de Toulouse à Biarritz… Et leur passage dans le studio de sa maison de Gan (Pyrénées atlantiques). L’on ressort éberlué des quatre heures passionnantes du documentaire réalisé par Jacques Gasser : jamais autant d’inédits de géants du blues n’ont été concentrés dans une sortie récente. Ni autant de propos aussi affectueux, aussi pertinents, aussi exclusifs sur la musique du diable, qui a marqué le siècle

morg02Avec Big Bill Broonzy en 1951, à Gan

Pour celui qui a ouvert à la fois les yeux et le coffre aux merveilles à des milliers de gens (pendant mon adolescence, je découvrais ses commentaires extasiés au dos des vinyles de blues), «le blues signifie exprimer en chansons les émotions que suscite la vie quotidienne». Et non un bêlant : ça -veut-dire-que-je-t’ai-ai-ai-me! Il cite Kokomo Arnold, qui rapporte les dégâts sur les cultures du charançon (Bo Weavil), chanson pour laquelle le label qui enregistra le 78 Tours (et 5 autres : 12 titres en tout), rémunéra l’artiste d’une bouteille de whisky! Ou Kokomo relatant la chute de sa mule (Me mule laid down and died). Le chanteur ne pleurniche pas. Le bluesman expose. Dignement. Le blues a trait au fleuve, à une guitare, à un arbre. Pour le griot du Hot Club de Pau, «le blues c’est la dignité». Il formule un touchant constat : «on est gagné par une impression de commencement du monde». En 1951, Morgantini invite Big Bill Broonzy en France. Big Bill séjournera 8 jours à Pau (41 personnes dans la salle au concert!). Ample moisson de récits. Morgantini apprend de la bouche de Muddy Waters que c’est Big Bill qui l’a attiré à Chicago. Puis il met en place les tournées du Chicago Blues Festival, gérées par Jean-Marie Monestier. Jacques et son épouse Marcelle enregistrent les monstres sacrés chez eux. Ou pendant les concerts de Pau, Bayonne, Biarritz, Bordeaux, Orange, Nice. Ainsi de John Lee Hooker dans la maison de Gan (France), dont le son deviendra le vinyle Get Back Home (Morgantini : « A ma grande surprise, John Lee me demandera une simple planchette de bois. Il tape dessus de la semelle : celle-ci fera office de batterie!)

morg03Avec T-Bone Walker

Il lance la collection Black and White, réédite la Bluebird Anthology, en partant de ses exemplaires 78 tours. Se retrouve à l’origine de centaines de disques en CD (EPM, Frémeaux et Associés). Marcelle décide alors de se rendre à Chicago dans les quartiers noirs de Chicago (South side,West side) avec son fils Luc, afin d’enregistrer le blues électrique au coeur même de son origine. Sur place, à Chicago, ils tombent sur les futurs boss du blues Jimmy Dawkins, les frères Myers, Homesick James, Freddy Below, Big Voice Odom, Magic Slim, Jimmy Johnson, Bobby King. Leur travail les rendra célèbres. C’est de cette manne que naquit le label MCM (17 vinyles de légende).

Actuellement, à 94 ans, Jacques Morgantini continue d’enregistrer les bluesmen dans sa maison, organise des concerts, continue les piges de critique musical, anime des émissions de radio, organise des stages, donne des conférences. En 2017, un Keeping the Blues Alive Award, décerné par la Blues Fondation de Memphis, honore le passeur pour l’ensemble de son oeuvre. Jacques Morgantini entre vivant dans l’épopée qu’il a contribué à forger : la légende du blues.