Archives de catégorie : Portraits

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (12)

STEPHANE GRAPPELLI (1908/1997)

Le violon élégant et… swinguant

Le violon, instrument à faible volume sonore, a longtemps été peu présent dans le monde du jazz. Au milieu des années 20, lorsque le jazz apparaît, la trompette et les saxophones occupent le devant la scène. Mais, dans les années 30, en France, grâce à Stéphane Grappelli, une idylle durable va naitre entre le fragile instrument à quatre cordes et le monde du swing. En 1934 il fonde, avec Django Reinhardt* à la guitare, le mythique « Quintet du Hot Club de France » : trois guitares, une contrebasse et un violon. Que des cordes frottées ou pincées ! Pas d’instrument à vent ! Pas de batterie ! Les solistes sont Django et Stéphane. Les 3 autres musiciens les accompagnent sans prendre de chorus. Pendant plusieurs années, en concert comme dans ses enregistrements, ce quintet triomphe en France et dans toute l’Europe. Il marie miraculeusement et de manière originale la tendresse des mélodies populaires avec un rythme nouveau venu d’Amérique : le swing!
Grappelli est mort à 89 ans. Il s’est produit en public pratiquement jusqu’à ses derniers jours. Sa très longue carrière est étonnante. A plus d’un titre.
Enfance pauvre et difficile. Son père est un immigré italien. Sa mère meurt lorsqu’il a 4 ans. Son père réussit, difficilement, pour ses 12 ans, à lui acheter un violon (de piètre qualité). Qu’il commence à pratiquer quasiment en autodidacte. Il joue comme on dit, « d’oreille ». Il a « l’oreille absolue ». Dans une interview il évoque ainsi cette question : « Si j’avais appris le violon au conservatoire je ne pourrais pas jouer à ma façon. C’est ce qui m’a permis de faire des écarts ! D’être libre.»
Pour gagner un peu d’argent il interprète des « chansonnettes » dans les cours d’immeubles de Montmartre. Il apprend aussi, tout seul, le piano. Et très vite, le plus souvent au piano justement, il se produit dans la fosse d’orchestre de cinémas muets**, dans des salons de thés ou dans des bars d’hôtels et même parfois dans des bordels dont on l’expulse à cause de son jeune âge. Petits boulots. Vie de bohème.
A 20 ans il devient professionnel dans des orchestres parisiens aux côtés de talentueux jazzmen français. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Django Reinhardt et qu’en 1934 il crée avec lui le fameux Quintet à Cordes. En dehors du Quintet, il est très sollicité pour des concerts et enregistrements avec des grands noms du jazz américain de passage à Paris. Lorsque la guerre est déclarée le Quintet joue à Londres. Django Reinhardt rentre précipitamment à Paris mais Stéphane reste dans la capitale anglaise jusqu’à la fin du conflit. Il joue dans des restaurants et des grands hôtels. Il découvre et engage dans ses orchestres des jazzmen anglais. Certains deviendront célèbres. En 1946 Stéphane retrouve Django à Londres et pour fêter leurs retrouvailles ils enregistrent une incroyable version « jazzifiée » de La Marseillaise sous l’intitulé « Echoes of France ». Il rejoue quelques fois encore, avec le génial gitan, notamment au Festival de Jazz de Nice en 1948 et ce, jusqu’au décès de Django en 1954.
Pour le reste de sa carrière, malgré quelques graves soucis de santé et une traversée du désert d’une dizaine d’années (pendant laquelle il travaille à nouveau pour des thés dansants et dans des bars d’hôtels de luxe !), il devient un véritable globe-trotter: concerts, entre autres, en Italie, GB, USA et… Paris, son point d’ancrage. A partir du milieu des années 60 sa carrière devient définitivement vraiment exceptionnelle : moult concerts et enregistrements superbes. Il aura promené son violon « magique » dans le monde entier, soulevant auprès de publics divers un enthousiasme qui n’a jamais faibli. Admiré par les plus grands jazzmen et… par des musiciens classiques! Comme le célèbre violoniste concertiste Yehudi Menuhim qui était émerveillé par sa manière d’improviser et qui a souhaité enregistrer et donner des concerts avec lui. De nombreuses émissions de télévision ont montré Menuhim fasciné par la facilité avec laquelle Grappelli improvisait de manière époustouflante. A son grand désespoir, Menuhim à l’immense technique académique, n’arrivait pas à swinguer et à improviser!
Stéphane Grappelli n’a jamais respecté les frontières, il a mêlé sans scrupules la tradition classique, les chansons d’avant guerre, les standards du jazz, les effusions tsiganes et le swing américain dans une musique lumineuse et sensible. Son art est essentiellement celui de la paraphrase aérienne et souriante. Étourdissant et simple, espiègle ou tranquille, Stéphane Grappelli est l’incarnation de l’élégance musicale… swinguante.
Grappelli a inspiré une nouvelle génération de magnifiques violonistes de jazz français. Comme Jean Luc Ponty et Didier Lockwood qui vénéraient Grappelli. Bien que pratiquant tous deux un jazz très moderne et au violon électrique (Stéphane lui a toujours joué du violon acoustique), il les a aidé, conseillé, parrainé.
Excellent compositeur Grappelli a écrit de superbes musiques pour deux films célèbres : « Les valseuses » et « Milou en mai ».

Pierre-Henri Ardonceau

* Un portrait de Django Reinhardt a été publié dans la rubrique « Les grands noms du Jazz » du 2 février 2024.
** Le cinéma ne deviendra parlant qu’en 1927.

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (12)

ELLA FITZGERALD (1917/1996)

La diva du jazz, reine du « scat ».
Son père a déserté le foyer familial et lorsque sa mère meurt Ella Fitzgerald a 15 ans. Orpheline elle est placée en maison d’éducation. Pendant la grande dépression économique des années 30 elle vit d’expédients dans les rues de Harlem. Mais elle a deux passions qui lui font oublier son pauvre quotidien: la danse et le chant. Chant qu’elle a pratiqué toute jeune dans une église méthodiste. A l’époque de nombreuses salles de spectacle d’Harlem organisent des « amateurs nights » (« radio crochets »), où le public est impitoyable avec les candidats.
A 17 ans elle se présente à l’un de ces concours au prestigieux Apollo Theater de New-York. Elle s’est inscrite en catégorie danseuse. Au dernier moment elle décide finalement de concourir comme chanteuse! Mal fagotée, l’allure un peu gauche, Ella est pétrifiée d’angoisse. Le maître de cérémonie sarcastique l’accueille en raillant ses vêtements : «Mais qui t’a fringuée comme ça, ma chérie ?».
Et pourtant… contre toute attente elle gagne! Dès sa première prestation publique le pouvoir magique de sa voix s’est révélé !
Dans la salle, le manager de Chick Webb (qui dirige un big band ultra populaire à Harlem) est enthousiasmé. Il convainc Webb d’engager Ella comme chanteuse de son grand orchestre. Pour régler des problèmes juridiques liés à son statut d’orpheline, Chick Webb et sa femme décident de l’adopter.
Un véritable conte de fées débute… Concerts, enregistrements, émissions de radio : Ella et l’orchestre jouent beaucoup.
La carrière d’Ella est lancée. Elle sera extraordinaire.
En 1938 premier tube : « A-Tisket, A-Tasket », une comptine enfantine qu’Ella métamorphose, sur un rythme de boogie-woogie, en un monument de drôlerie et de swing enjoué. Le disque se vend à plus d’un million d’exemplaires. Hollywood lui fait interpréter ce thème dans un navet, « Les deux nigauds cow-boys ». Mise en scène ridicule, mais elle chante très à l’aise et avec humour son tube dans un autobus empli de cow-boys d’opérette. Rayonnante. Séquence culte pour les internautes jazzfans…
En 1939 C. Webb meurt. Les musiciens demandent à Ella de diriger l’orchestre. Elle a 22 ans et accepte cette lourde et complexe responsabilité. Qu’elle va assumer pendant 4 ans.
En 1942 l’orchestre est dissous. La période est économiquement difficile pour les « big bands ». Elle signe, en solo, avec le label réputé Decca, pour lequel elle enregistre avec succès de nombreux albums. A la fin des années 1940, elle est programmée par le producteur blanc Norman Granz dans le cadre de prestigieux concerts intitulés Jazz at the Philharmonic (JATP), présentés en plein air dans le grand auditorium philarmonique de Los Angeles. L’objectif de Granz est de faire sortir le jazz des clubs et de lui donner une plus grande exposition populaire. Avocat progressiste, luttant contre la ségrégation, Granz utilise ces concerts pour combattre le racisme en faisant côtoyer musiciens blancs et noirs. Autre audace pour l’époque, il compose ses plateaux en faisant jouer ensemble des jazzmens pratiquant le style swing (le jazz « classique ») et le be-bop (le jazz moderne). Les intégristes du « vrai » jazz fulminent… Mais le grand public adhère à la démarche. Ella maîtrise parfaitement les deux styles.
En 1955 Granz lui propose de devenir son manager exclusif (pour concerts et enregistrements). Il veut qu’elle devienne une vedette internationale. Pari très vite totalement réussi. Il a veillé sur elle jusqu’à son décès. Il lui offre des conditions de vie et de « travail » exceptionnelles. Ella devient une star mondiale, ultra-populaire bien au-delà du petit monde des jazzfans.
Elle est heureuse de vivre, toujours souriante. Son art vocal s’épanouit encore. Ses concerts sont éblouissants. Elle élargit son répertoire au-delà des thèmes habituels de jazz. Elle s’approprie de manière flamboyante les mélodies des grands noms de la musique populaire américaine (Cole Porter, Gershwin…). Sur scène elle improvise de manière sidérante. En scattant. Le scat est un style vocal propre au jazz, dans lequel les paroles sont remplacées par des onomatopées. Ella scattait comme un saxophoniste… Impressionnant et inoubliable…
Ni alcool, ni drogues dures. Ella avait un seul défaut : sa forte addiction aux sucreries. Son diabète lui fut fatal: elle devient aveugle et est amputée des deux jambes quelques temps avant sa mort. A 79 ans.

Pierre-Henri Ardonceau

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (11)

DJANGO REINHARDT (1910/1953)

LA MARSEILLAISE EN JAZZ !

Django Reinhardt est né dans la caravane de ses parents. Les Reinhardt, musiciens manouches, voyagent. Beaucoup. Tradition oblige. Belgique, Algérie, Italie… avant de se fixer dans la banlieue parisienne. Tout jeune Django joue « d’oreille » du banjo. Son banjo est de qualité médiocre mais son étonnante virtuosité (déjà !) lui permet de faire oublier à ceux qui l’écoutent la piètre sonorité de son instrument. Il devient vite très demandé dans le monde des orchestres musettes, engagé par des accordéonistes qui jouent dans les dancings et bals parisiens populaires des années 20.
Django ne sait ni lire ni écrire. Lorsqu’il enregistre en 1928 son premier disque, l’étiquette du 78 tours mentionne… « Jiango Renard » au banjo ! En cette même année 1928 Jack Hylton célèbre chef d’orchestre anglais l’engage pour une tournée en GB.
Quelques jours avant le départ de la tournée un grave incendie se déclare dans sa roulotte. Les conséquences sont dramatiques: une jambe très abîmée (amputation évitée de justesse) et deux doigts (l’annulaire et l’auriculaire) de sa main gauche mutilés définitivement. Dix huit mois d’hôpital et de clinique, alité, pendant lesquels il s’acharne à rééduquer sa main gauche afin de réussir à jouer de la guitare. Instrument qu’il adopte (et pour toujours…) pendant son hospitalisation. Surdoué, il « invente » sur son lit de douleurs un jeu totalement personnel, sidérant, fluide et agile basé sur des doigtés non-académiques. Jeu adulé par tous les grands guitaristes du monde, toutes générations confondues, qui le considèrent comme un « Guitar Hero ».
En 1930 guéri, rêvant de soleil, il s’installe à Toulon. Port festif où il est immédiatement recruté dans moult orchestres de bals.
En 1931 un peintre toulonnais lui fait découvrir Louis Armstrong et Duke Ellington. Choc. Django est bouleversé par la découverte de la musique de jazz. Très vite, en différents contextes, il adopte un jeu de guitare où il intègre, de manière originale, le balancement rythmique propre au jazz : le swing.
En 1933, avec le talentueux violoniste Stéphane Grappelli, rencontré quelques mois auparavant, il fonde le fameux « Quintet à cordes du Hot Club de France ». Formule originale: trois guitares, une contrebasse et un violon. Pas de batterie. Du jazz sans batteur ! Le rôle du batteur est assuré par deux guitaristes rythmiques qui « font la pompe » (et ne prennent jamais de solos!)… Solistes: Django et Stéphane. Eblouissants. Ils ont découvert ensemble avec ravissement que les sonorités du violon et de la guitare s’entremêlent en une étonnante harmonie.
Pendant plus de dix ans le Quintet du HCF triomphe (et pas seulement en France). Les concerts font le plein partout et les ventes de disques sont importantes. De nombreux grands du jazz américain de passage à Paris pendant les années 30 sont ravis d’enregistrer avec Django.
Pendant la guerre Grappelli est à Londres et Django à Paris où son statut de vedette le protège. De hauts dignitaires de l’armée allemande apprécient sa musique et son « tube » Nuages. Mais à la différence de quelques grands noms français du spectacle il ne collabore pas.
A la fin de la guerre Django et Stephane se retrouvent en studio à Londres. L’ingénieur du son leur demande de jouer quelques notes pour effectuer ses réglages. Spontanément ils jouent et improvisent sur la Marseillaise… Cette improvisation ne faisait pas partie du programme des thèmes prévus pour cette séance… Sur internet on peut écouter cette surprenante Marseillaise sous l’intitulé « Echoes of France ». Démonstration éclatante que les grands jazzmen peuvent improviser et swinguer à partir de n’importe quel matériel thématique !
Invité en 1946 par Duke Ellington pour une tournée aux USA Django revient au bout de quelques mois déçu, pour de très nombreuses raisons, par son expérience américaine. Venu sans sa guitare il pensait que les fabricants américains de l’instrument se précipiteraient pour lui en offrir une… Que nenni… Pour un important concert avec Ellington au Carnegie Hall il arrive très en retard à la toute fin du concert. Grande colère de Duke. Django avait rencontré Marcel Cerdan dans un bar. En fêtant de manière un peu trop arrosée ces retrouvailles il avait oublié l’heure du concert!
A son retour des USA son caractère fantasque et ses foucades nuisent à sa carrière qui devient imprévisible et chaotique. Il ne joue que quand il en a envie… mais toujours aussi bien. Il n’honore pas certains contrats. Son imprésario s’arrache les cheveux.
Il se retire à la campagne et passe ses journées à jouer au billard et à aller à la pêche. Mais en 1953 il surprend une fois de plus le petit monde du jazz en enregistrant un superbe disque de… jazz moderne ! Quelques mois avant de décéder d’une congestion cérébrale. Un génie de la guitare disparaissait: à 43 ans…

Pierre-Henri Ardonceau

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (10)

BILLIE HOLIDAY (1915/1959)

BILLIE HOLIDAY (1915/1959)
Légende du jazz vocal au destin tragique
Née dans une Amérique raciste où il ne faisait pas bon être femme, noire et pauvre, Billie Holiday a chanté ces malédictions avec une sensibilité émouvante. Misère, viols, prostitution, drogues, prison… ont jalonné son existence. Mais sa courte vie (elle est morte à 44 ans) ne peut se résumer à cette litanie d’épreuves. Elle fut une chanteuse exceptionnelle. Profondément originale. Une voix authentique, vibrante, sensuelle, puissante et expressive. Une voix déchirante, riche de son humanité et… de ses imperfections. Elle ne chantait pas comme les autres chanteuses célèbres de son époque. Elle n’a jamais « scatté » (manière de chanter par onomatopées qui était la spécialité d’Ella Fitzgerald).
Sa mère a 13 ans lorsque nait Eléonora Fagan, son véritable patronyme… Eléonora ne choisira qu’à l’âge de 15 ans son nom de scène : Billie Holiday. Son père, musicien, est peu présent (euphémisme…). Toute jeune elle travaille dans un bordel et est violée à 13 ans. « Même une putain ne doit pas être violée » écrira t’elle dans son autobiographie. Elle rêve d’être danseuse. Fiasco. Mais à 15 ans dans un petit club où elle fait le ménage le patron lui propose de chanter, payée « au chapeau »: son grain de voix et son « phrasé » singuliers plaisent et lui rapportent ses premiers cachets. Elle admire alors Louis Armstrong et Bessie Smith, ses premières influences. Sa réputation grandit dans les boîtes d’Harlem. A 18 ans elle est la maîtresse de Benny Goodman, très célèbre à l’époque. Il l’engage dans son orchestre, avec l’appui de John Hammond prestigieux impresario des années 30. Dans la foulée, suivent des enregistrements où elle révèle son étonnant talent à métamorphoser des petites ritournelles populaires en moments d’émotions swingués. En 1935 elle a tourné dans un court métrage de Duke Ellington « Symphony in Black ». Elle y joue le rôle d’une prostituée maltraitée par son souteneur. Une situation qu’elle a vécue…
En 1937 elle devient pendant un an la chanteuse vedette du Big Band de Count Basie. C’est elle qui choisit son propre répertoire avec des thèmes évoquant pour nombre d’entre eux sa vie de femme malheureuse, malchanceuse et mal traitée. Après Basie elle est embauchée par Artie Shaw, très populaire à l’époque. Tous les musiciens du groupe sont blancs… Elle devient ainsi l’une des toutes premières chanteuses noires à faire une tournée avec un orchestre blanc. Dans le sud des USA, ségrégationniste, à plusieurs reprises elle doit rester enfermée dans son hôtel « pour noirs » sans pouvoir chanter. La réflexion d’un patron de club «pas de négresse chez moi » la révolte. Dépitée elle quitte A. Shaw.
Entre les tournées avec les grands orchestres elle s’impose comme figure majeure du jazz new-yorkais. Elle se produit régulièrement dans les clubs d’Harlem avec Lester Young, génial saxophoniste ténor dont le style intimiste s’accorde parfaitement avec le sien. L.Young, avait surnommée Billie « Lady Day ». Il restera son ami de coeur dans une relation platonique qui perdura jusqu’à la mort du saxophoniste.
En 1939 elle rencontre un poète, Abel Meeropol, qui lui propose de chanter un de ses textes: « Strange Fruit » (Fruit Etrange). Réquisitoire puissant et bouleversant contre les lynchages que subissent les afro-américains. Le fruit étrange c’est le corps, pendu à un arbre, d’un noir qui vient d’être lynché par le Ku Klux Kan. L’interprétation de Strange Fruit par Billie au célèbre Cafe Society de New York (où elle est engagée pendant 9 mois) rencontre un énorme succès. Ce thème est devenu emblématique dans la carrière de Billie.
Durant les années 40, Billie Holiday trône au zénith de sa carrière, mais sa vie personnelle est en lambeaux. Elle a obtenu de lucratifs contrats d’enregistrement avec de prestigieux labels. Elle a de nombreux engagements pour des concerts et tournées. Mais ses importants revenus sont consacrés principalement à deux choses : entretenir ses nombreux compagnons (souvent malveillants et brutaux) et se procurer de la drogue… En 1941 elle tourne, aux côtés de Louis Armstrong, dans le film « New Orleans ». Mais dans ses superbes mémoires (Lady Sings The Blues) elle s’indigne : on lui a confié un « rôle de boniche »!
Dans les années 50, sa carrière connaît quelques hauts et, beaucoup, de bas. Ses addictions (alcool et drogues dures) de plus en plus fortes la rendent imprévisible. Mais quand elle se ressaisit sa voix est toujours aussi envoûtante.
En France en 1958 son dernier passage à l’Olympia est catastrophique. Mais dans un petit club parisien après l’Olympia elle chante toute la nuit de manière pathétique devant, entre autres, Francoise Sagan et Brigitte Bardot… fascinées.
Sa santé devient de plus en plus fragile. Billie meurt en 1959 sur un lit d’hopital de NY devant un policier venu l’inculper pour détention d’héroïne!

Pierre-Henri Ardonceau

MONTY ALEXANDER

Le 6 juin 1944, Bernard Law Montgomery débarque en Normandie. Le même jour, de l’autre côté de l’océan, en Jamaïque, Mme Alexander donne naissance à un petit garçon qu’elle prénomme Bernard Montgomery en hommage au général libérateur.
Dès 4 ans, il joue déjà à l’oreille pour son entourage de Kingston. A 6 ans, il débute les cours de piano classique mais le solfège, ce n’est pas pour lui et il raccroche très vite ! Il continue d’absorber comme éponge tout ce qu’il entend dont beaucoup de stars américaines. En 1953, il va voir Nat Cole et Louis Armstrong sur la scène du Carib Theater. A 14 ans, suivant les conseils de son mentor Wynton Kelly, il commence à jouer dans les clubs de Kingston. « Je me suis mis à jouer avec d’autres musiciens et à comprendre ce que le jazz veut dire, c’est-à-dire une sorte de conversation entre musiciens » a-t-il déclaré à jazzmania.be
Vers 16 ans, il devient le leader du groupe Monty and the Cyclones. A cette époque, il est aussi pianiste d’accompagnement pour diverses formations et enregistre chez Federal Records, Treasure Isle et surtout au Studio One où il assiste à la naissance du ska. En particulier, il joue pour l’un des pères fondateurs du ska, Ernest Ranglin, dans le groupe Clue J and the Blues Blasters, qui deviendra les Skatalites, le backing band du Studio One, où débutera Bob Marley avec The Wailers…
En 1961, Monty Alexander émigre avec ses parents aux Etats-Unis. Alors qu’il joue dans un club de Las Vegas, il est repéré par Jilly Rizzo, le patron du célèbre Jilly’s Saloon à New York, venu boire un verre en compagnie de… Franck Sinatra ! Direction la Grande Pomme où il accompagne Sinatra (à des matchs de boxe aussi) et joue très vite avec les plus grands au Jilly’s mais aussi au Minton’s et au Club Playboy : Dizzy Gillespie, Clark Terry, Sonny Rollins, Count Basie, Miles Davis (qui lui griffonne son numéro sur une boîte d’allumettes). Il se lie d’amitié avec le vibraphoniste Milt Jackson et le contrebassiste Ray Brown (dans la salle, il se propose spontanément de remplacer son pianiste ivre et c’est le coup de foudre).
En 1964, à 20 ans, il sort son premier album : Alexander The Great chez Pacific Jazz.
On le compare au pianiste canadien Oscar Peterson, dont il partage le jeu vif et brillant. C’est ce dernier qui va le recommander et signer chez le label MPS qui fera définitivement décoller sa carrière à partir de 1971. Monty Alexander participe à l’œuvre tardive de Milt Jackson : Here comes the Sun (1971), We’ve only just begun (1972), Perception (1974).
En parallèle, il sort avec son compatriote Ernest Ranglin : Rass ! (1974), Cobilimbo (1978), Monty Alexander & Ernest Ranglin (1981)
Il adopte le format trio à la même période. En 1976, il monte pour la première fois au festival de Montreux avec John Clayton et Jeff Hamilton pour un concert qui a à jamais marqué les esprits. Il sera ensuite invité plus de 23 fois ! Puis vient son trio Triple Treat avec Ray Brown et Herb Ellis, actifs jusque dans les années 2000 !
En parallèle, il va multiplier les collaborations avec les plus grands de Quincy Jones à Herbie Hancock… En 1987, il participe à la bande son oscarisée du film Bird, hommage à Charlie « Yardbird » Parker. En 1991, il assure la direction artistique de Nathalie Cole dans un album hommage à Cole père, sept fois lauréat aux Grammy Awards. En 1995, il collabore avec Barbara Hendriks sur A Tribute to Duke Ellington.
En 1978, il associe Othello Molineaux, joueur de steel drum, percussion de Trinité et Tobago,  à son trio. « Aux USA, de temps en temps, je me souvenais d’un rythme de la Jamaïque et je demandais aux musiciens de jouer aussi mais souvent ils n’avaient pas ça dans le sent, a-t-il confié à jazzmania.be. La musique de la Jamaïque est vraiment arrivée plus tard car au début je cherchais surtout à assimiler la musique de New-York, à coller à la musique de mes partenaires ».
Il continue ainsi de brasser toujours un peu plus la musique jamaïcaine jusqu’à parfois former de véritables formations reggae avec les albums Jamboree (1994), Yard Movement (1996), Stir it up (reprises de Bob Marley, 1999), Monty Alexander meets Sly and Robbie (2000), Goin’Yard (2001), Rock steady (il remet le couvert avec Ernest Ranglin en 2004), Concrete Jungle (second hommage à Bob Marley en 2006). La plus belle des synthèses de ses multiples identités est peut-être Harlem Kingston Express : Live, nommé aux Grammy Awards en 2011. Ou Rastamonk vibrations (2019) hommage à Thelonius Monk qui a fait le voyage inverse en fréquentant les immigrants jamaïcains dans le quartier de San Juan à New-York.
Monty Alexander aime à rappeler que la devise de la Jamaïque est « E pluribus unm » (de plusieurs, un seul peuple) ; une devise que l’on pourrait aussi appliquer au peuple du Jazz non ?!

Nouvel album : D-Day

L’Album-Day est le fruit d’amitiés croisées t de connivences artistiques entre Monty Alexander et les labels et tourneurs français PeeWee ! et VO Music.
Enregistré principalement au Studio Sextan en octobre 2023, D-Day rassemble la quintessence de deux séances fleuves. On y entend un Monty Alexander plus introspectif qu’à l’habitude, sûr du temps à prendre pour atteindre la note juste, celle qui arrive seulement avec le sentiment de l’assurance.
Avec les jeunes et brillants Luke Sellick et Jason Brown, sa rythmique actuelle, il trouve des partenaires à l’unisson de ses disgressions harmoniques et rythmiques, en fusion totale, et toujours transpercés par le beat entêtant du reggae et le balancement contagieux du swing.

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (9)

Benny Goodman (1909/1986)

Le jazz au Carnegie Hall de New York !
Fils de modestes immigrants juifs de l’Empire Russe, Benny Goodman, neuvième enfant d’une fratrie de 12, naît dans le ghetto de Chicago en 1909. Il apprend tout jeune la technique de la clarinette avec l’orchestre d’une synagogue. Surdoué, il devient professionnel à 15 ans et participe activement à l’effervescente vie musicale de Chicago dans les années 20. Il joue beaucoup, déjà, dans les cabarets, les studios d’enregistrement et sur les bateaux qui sillonnent les Grands Lacs. À 20 ans, il s’installe à New York et y fonde, 5 ans plus tard, son premier grand orchestre.

La folie du swing

Dans les années 30 le jazz « swing » triomphe aux USA. C’est la « swing craze » : la folie du swing. Le jazz est « partout » : bals, clubs, concerts, bandes-son de films à succès, enregistrements de 78 tours et… émissions de radio très écoutées sur tout le territoire américain. Goodman est omniprésent sur tous ces créneaux. En 1935 il se voit confier à la N.B.C., station de radio très réputée, l’émission la plus populaire du samedi soir : « Let’s Dance ».
Ses succès multiformes reflètent à la fois l’attractivité de son exceptionnelle virtuosité à la clarinette, la naissance d’un nouveau style spectaculaire très dansant de grand orchestre et l’amorce de la reconnaissance, du jazz comme musique « sérieuse » par les élites blanches.
Goodman sait s’entourer. Étonnant « dénicheur » de talents il s’assure de la collaboration des meilleurs arrangeurs de l’époque et recrute les solistes les plus talentueux de la scène jazz des années 30. Pas seulement pour son big band mais aussi pour ses petites formations (trio, quartet, quintet, sextet) qui triomphent dans les concerts et les enregistrements. Comme Lionel Hampton, génie du vibraphone jazz et Gene Krupa l’impressionnant virtuose de la batterie. Hampton est noir, Krupa blanc. Ce qui amène à évoquer une autre facette remarquable de la personnalité de B. Goodman. Ses fortes convictions antiracistes le conduisent à délibérément militer contre la ségrégation raciale, encore omniprésente à cette époque, en créant des groupes mixtes. Comme dans son superbe quartet composé de deux Afro-Américains (Hampton au vibra et Teddy Wilson au piano) et deux Blancs (Goodman lui-même à la clarinette et Gene Krupa à la batterie). Si un mec me dit « Qu’est-ce que tu fous avec ces négros ? Je lui fous mon poing dans la gueule… » a-t-il déclaré dans une interview.

Un concert historique

Goodman obtient la consécration absolue en étant programmé, le 16 janvier 1938, dans le temple de la musique classique qu’est le Carnegie Hall, siège historique de l’Orchestre Philharmonique de New York, institutionnellement dédié aux concerts élitistes new-yorkais. La bonne société new-yorkaise qui jusqu’ici considérait le jazz comme un plaisir de « bas étage » (le jazz est encore souvent perçu à l’époque chez les conservateurs comme la « musique du diable ») découvre avec stupeur et plaisir que le jazz peut, en smoking et nœud papillon, se transformer en divertissement de « bon ton ».
L’immense salle (2 670 places) est pleine à craquer… Le grand orchestre de Goodman est composé d’une trentaine de stars du jazz de l’époque dont des membres éminents des groupes de Count Basie et Duke Ellington. Les 2 heures 30 du concert sont diffusées à la radio en direct. Ce concert historique se termine par une version flamboyante et mythique de plus de 12 minutes du thème très dansant « Sing Sing Sing » (composé par Louis Prima). Triomphe médiatique.
Dans la foulée, les médias américains sacrent Benny Goodman « King of Swing ». L’enthousiasme du public et des journalistes contraste avec les réserves que des jazz-critics – notamment français – n’ont cessé depuis d’exprimer. De nombreux musicologues et historiens du jazz considèrent en effet que d’autres grands jazzmen à l’époque « swinguaient » plus et mieux que lui… Certains « racistes à rebours », avec une vision « génétique » du jazz, comme Hugues Panassié en France, affirmèrent même, en le prenant comme exemple, que les Blancs ne pouvaient pas swinguer !

Oublions ce débat car il est incontestable que dans l’histoire du jazz, Benny Goodman fut un important soliste à la clarinette mais aussi un chef d’orchestre charismatique.

Plusieurs millions d’exemplaires !

Pour de complexes raisons techniques et juridiques le concert du Carnegie Hall de 1938 n’a été publié en microsillon que beaucoup plus tard. Il s’est vendu depuis à plusieurs millions d’exemplaires !
B. Goodman a joué dans quelques films à succès et Hollywood lui a consacré un « biopic » en 1956.
Il interprétait aussi à très haut niveau des œuvres de musique classique et de prestigieux compositeurs comme Béla Bartok ont écrit pour lui.
Dans les années 60 il a été nommé Ambassadeur du Jazz Américain par le gouvernement US. Étonnant… À ce titre, il s’est produit, avec succès, en URSS en pleine guerre froide, alors que ce pays à l’époque fustigeait le jazz !

Pierre-Henri Ardonceau

Les Grands Noms du Jazz (8)

CAB CALLOWAY (1907/1994)

Cab Calloway (1907/1994)
« Mr. Hi. De. Ho. »
Sorti en 1980, « Les Blues Brothers » est un film culte pour les amoureux du rhythm and blues, de la soul music, du blues et du jazz. Le disque de la bande originale de ce long métrage s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en France! Au générique, de très grands noms : James Brown, Aretha Franklin, Ray Charles, John Lee Hooker et… Cab Calloway !
Au début des années 80 Cab Calloway a 73 ans et il n’est alors pas connu du grand public.
Mais la longue séquence où il interprète son tube « Minnie the Moocher », dans une grande salle de concert emplie de jeunes gens surexcités, a marqué, durablement, pas seulement les millions de spectateurs présents dans les salles obscures mais aussi les très nombreux fans qui l’ont vu ou revu lors de multiples diffusions TV et séances de joyeux visionnages du DVD avec amis et…famille. Ce film est consensuel et trans-générationnel…
Le refrain de Minnie The Moocher est « scatté » (chanté en onomatopées). La surprenante formule « Hi De Ho » (prononcée: « aïe-di-oh » !), répétée moult fois, est reprise en choeur avec enthousiasme, dans un énorme éclat de rire par le public…
Aux USA, en 1931 la popularité de « Minnie The Moocher » créée et chantée par Cab Calloway était telle, que son interprète fut surnommé : « The Hi-De-Ho Man » !
La participation de Cab Calloway aux « Blues Brothers » marque le début d’une renaissance… Qui va se prolonger ensuite pendant une bonne dizaine d’années. Il chanta et dansa sur scène jusqu’à plus de 80 ans…
La carrière de Calloway a connu des hauts et des bas…
Dans les années 30 il est ultra populaire. C’est l’époque du jazz « classique », celle de l’ère du swing (la « swing era » comme disent les érudits, pour faire chic…). En Amérique du Nord ce jazz « facile » et dansant est alors « partout » : concerts (aussi bien en clubs que dans des salles immenses), émissions de radio, bals, opérettes de Broadway, films… Le jazz est incontestablement la « bande son » de cette période.
Tout jeune Cab Calloway n’aime pas l’école… La rue est son royaume. Il joue, un peu, en dilettante, de la batterie. Sa soeur ainée Blanche Calloway, qu’il admire, est fort connue dès 1921. Elle joue dans des comédies musicales où tous les protagonistes sont afro-américains. Il la supplie de lui trouver un petit rôle… Il accepte même pour cela de suivre quelques cours de chants… Il a à peine 15 ans lorsqu’elle réussit à le faire recruter. Bingo… Fasciné par le monde du spectacle il persiste et signe. Il se « fabrique » très vite un personnage assez incroyable de chanteur et danseur excentrique. Tout jeune on le trouve dans les « batailles » de grands orchestres dans les prestigieux cabarets d’Harlem. A 21 ans il est embauché au fameux Cotton Club avec un « big band » qu’il vient juste de créer… En remplacement de Duke Ellington parti en tournée ! Il se trouve ainsi mêlé à de sombres batailles entre les gangsters propriétaires de ces clubs harlemites. Ses biographes racontent que cela ne lui déplait pas… Flambeur, joueur impénitent (dés, courses, poker), grand séducteur se posant même parfois en « protecteur » (!) de belles jeunes femmes.
Pendant toutes les années 30, avec son grand orchestre, il « règne » sur Harlem. Mais pas que ! Tournées triomphales aux USA et en Europe, ventes énormes de 78 tours, vedette de courts métrages et de films hollywoodiens à succès. Il collectionne les « tubes ». La presse people de l’époque le met souvent en une…
La clientèle uniquement blanche (ségrégation oblige) et riche des clubs chics d’Harlem adore s’encanailler en l’écoutant pratiquer le « jive », l’argot branché des afro-américains, plein de sous-entendus sexuels… Il fume de l’herbe et sniffe de la coke. Dans un court métrage il le montre même explicitement…
Il popularise le « zoot suit ». Une tenue vestimentaire extravagante que portent tous les branchés de l’époque. Veste descendant largement en dessous des genoux, pantalon large mais resserré au niveau des chevilles, chaine à la ceinture… En France pendant l’occupation les zazous qui adoraient Calloway et le jazz imitèrent ses tenues vestimentaires.
Puis… vint le déclin. Dettes de jeu, problèmes économiques pour gérer un grand orchestre, naissance du jazz moderne… Il se retrouve au creux de la vague… Il est même obligé un temps de se produire « en attraction » pendant les spectacles des basketteurs des Harlem Globe Trotters. Une comédie musicale de Gershwin le remet en scène quelques temps… Mais le temps de la gloire semble passé… Jusqu’à la sortie des « Blues Brothers » et au retour des succès mondiaux pratiquement jusqu’à la fin de sa vie…

Pierre-Henri Ardonceau

Séquence culte du film les Blues Brothers

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (7)

FATS WALLER (1904/1943)

Fats Waller (1904/1943)
Le jazz joyeux

Thomas Wright Waller, dit « Fats », pianiste virtuose, organiste et vocaliste hilarant, est l’une des figures les plus insolites et influentes du monde du jazz.
Grand (1,90 m) et massif, il pesait selon ses biographes plus de 130 kilos. D’où le surnom de « Fats »…
Il est mort, célèbre et populaire, à 39 ans. En pleine gloire.
Son histoire est étonnante à plus d’un titre.
Sa famille vit à Harlem. Tout jeune il joue de l’harmonium et de l’orgue dans l’église de son père qui est pasteur. Les oeuvres de Bach, qu’il interprète « à l’oreille », le fascinent. A 14 ans, il gagne un important concours de jeunes talents, ce qui lui procure ses premiers engagements professionnels. A 15 ans il est recruté comme pianiste et organiste pour accompagner les films muets. Le cinéma n’est pas encore parlant, il ne le deviendra qu’en 1927.
Puis, très vite, Fats joue et chante dans différents petits clubs de jazz de Harlem.
Avant la seconde guerre mondiale, le quartier new-yorkais de Harlem, est un des hauts lieux de la culture afro-américaine. Le jazz y est omniprésent : dancings, théâtres, cabarets…
Après le travail (« after work »), les musiciens new-yorkais se réunissent et jouent, pour le plaisir, jusqu’à l’aube, dans leurs appartements d’Harlem. Dans ces soirées privées Fats Waller se distingue par son jeu de piano, virtuose et original. Mais aussi par sa manière de chanter, joyeuse et exubérante. Le « buzz » fonctionne à plein régime et… il devient alors très populaire: enregistrements de 78 tours, création de petits orchestres engagés dans des clubs prestigieux, tournées en Europe et aux USA…
Ces petits orchestres de jazz d’alors sont dénommés « combos ». Ils se différencient nettement, à de nombreux points de vue, des grands orchestres, ce sont des petites formations. Cinq ou six musiciens au maximum, versus les 15 ou 20 instrumentistes des big bands !
Au piano Fats Waller pratique le « stride ». Style pianistique en rupture avec le ragtime. Très mécanique le ragtime ne swingue pas. Le stride, oui. Cette approche du clavier tout en souplesse et balancement donne envie de danser et de claquer des doigts… Caractéristiques essentielles du jazz de l’ère du swing.
Le stride de F.Waller est élégant, sophistiqué. Il utilise toute l’étendue, toutes les ressources du clavier. Main gauche puissante, bondissante et main droite toute en légèreté dans les aigus. Soliste imaginatif et généreux.
Fats s’était composé un sacré personnage: chapeau melon incliné de travers, gilet rouge, fines moustaches, oeillades égrillardes, cigarette aux lèvres et bouteille de gin à proximité… Chanteur il métamorphose les rengaines à la mode dans un style gouailleur et facétieux. Il roucoule, claque la langue…
Le grand public adore ses pitreries.
Amuseur certes mais aussi musicien exceptionnel.
Fats a composé près de 400 thèmes et enregistré plus de 700 morceaux ! Certains sont devenus des standards dans l’univers du jazz comme, entre autres, Black and Blue, Honeysuckle Rose ou Jitterburg Waltz (avec ce morceau il est le premier jazzman à avoir fait « swinguer » une valse…).
Il a mis en musique et en paroles le « jive », l’argot très « chaud » d’Harlem. Quelques musicologues pensent même qu’il a préfiguré le rap des années 70 !
Au début des années 40 sa popularité va être enrichie par sa participation aux tournages de nombreux « soundies ». Les soundies sont les ancêtres des scopitones et des clips vidéos. Courts métrages de quelques minutes, réalisés avec peu de moyens, ils mettent en scène un thème musical ou une chanson. Les soundies étaient diffusés avec succès principalement dans des bars et restaurants. On peut visionner sur internet quelques soundies étonnants et drôles de F.Waller. Son aisance sur l’écran a amené les producteurs d’Hollywood à lui proposer de tourner dans des longs métrages à gros budget. Comme dans le chef d’oeuvre « Stormy Wheater » de 1943, où tous les acteurs et musiciens sont afro-américains. Caractéristique exceptionnelle pour une époque où les grands studios hollywoodiens étaient ségrégationnistes.
Ses deux interventions dans ce film sont superbes.
Destin tragique d’un joyeux drille talentueux, quelques mois à peine après la fin du tournage de Stormy Wheater, Fats Waller meurt d’une pneumonie dans le wagon-lit du train qui le ramenait, très malade et affaibli par son alcoolisme chronique, de la côte ouest des USA.
Une foule immense  assiste à son enterrement à New-York.
Un grand nom du jazz, incontestablement, venait de disparaître. A 39 ans.

Pierre-Henri Ardonceau

Quelques vidéos emblématiques de Fats Waller

Your feets are too big (Original Soundie)

version colorisée !!!

Ain´t Misbehavin´ (1943) Tiré du film Stormy Wheater

Honeysuckle Rose (Original Soundie)

This Joint Is Jumpin’ (194) … une « rent party » à Harlem…

I‘ve Got My Fingers Crossed

ELLA FIZGERALD

ELLA FITZGERALD, LA REINE DES CHANTEUSES !


ELLA est née en Avril 1918 en Virginie. Elle perd ses parents très jeune et se trouve placée ans un orphelinat de New-York. Elle veut d’abord être danseuse, mais heureusement pour nous, elle choisit le chant et c’est réellement le bon choix, car dès 1934 elle gagne un tournoi d’amateurs à V’APOLLO de Harlem, ce qui lui permet d’être engagée, très vite, dans l’orchestre du fameux batteur CHICK WEBB, qui dirigeait l’orchestre maison et était la vedette du fameux SAVOY BALLROOM, le plus grand dancing du monde sur Lenox Avenue !
Il faut savoir que dans ces années 30, il fallait à chaque grande formation au moins une excellente chanteuse, et un chanteur genre crooner dont la voix sirupeuse avait pour fonction de bouleverser les Dames ! Sans vocaliste, un orchestre ne pouvait prétendre arriver au sommet ! Donc, immédiatement la jeune ELLA, âgée de moins de 20 ans, par son rayonnement propulsa l’orchestre de CHICK WEBB au premier rang. La voici dans une de ses premières apparitions en disque I’LL CHASE THE BLUES AWAY et on ne peut qu’être séduit par la spontanéité et l’allant de cette toute jeune chanteuse, qui fait preuve à chaque instant d’une bien belle assurance. Egalement tout au long de SING ME A SWING SONG AND LET ME DANCE , qui contient de solides breaks de batterie du chef CHICK WEBB.
Dès ses premiers disques avec l’orchestre elle enlève le morceau : sa voix
d’une exceptionnelle fraîcheur ne peut manquer de séduire. Et très vite, elle acquiert une autorité, un rayonnement qui la fera désigner très vite sous l’appellation flatteuse de < Reine du Savoy > ! ll faut dire qu’accompagnée par un tel orchestre elle était mise dans les meilleures conditions pour briller et s’imposer au premier rang des chanteuses de Jazz, place qui fût du reste la sienne, pendant toute sa longue et si riche carrière. Nous allons simplement passer certains de ses meilleurs titres avec l’orchestre de CHICK WEBB, qui fût pour elle un mentor remarquable, s’occupant autant de la mise en place de ses chansons, de son timing, que de ses tenues de scène ! Elle savait d’instinct avoir les inflexions les plus subtiles, mettre I’émotion qui touche par son phrasé, son articulation parfaite, sans parler de son swing de tous les instants. Naturel est bien le mot qui peut résumer la musique d’ELLA, elle chante sans chichis, sans maniérisme, sans affectation, et sa voix fraîche, son ingénuité, ne peuvent que séduire l’auditeur. Maintenant de 1936, un titre notable pour tous, et surtout la chanteuse : A LITTLE BIT LATER ON. Les solos de trompette sont de TAFT JORDAN, ceux de trombone de SANDY WILLIAMS, quant au ténor c’est TED McRAE.
Le rusé CHICK WEBB a compris que sa chanteuse était un atout de première importance pour asseoir la réputation de son orchestre, à tel point que les faces de certaines séances chez Decca, comprenaient toutes des vocaux d’ELLA ! Mieux, il lui donne la vedette dans une séance de Novembre 1936, l’accompagnant avec seulement un petit groupe de ses meilleurs solistes. De ce jour extrayons le beau et irrésistible SHINE ! Le solo de ténor est de TEDDY McRAE.
Rapidement l’association WEBB-FITZGERALD devint l’attraction no 1 auprès des danseurs de < lindy-hop > de Harlem, aucune autre chanteuse ne parvenait à les enthousiasmer comme ELLA le faisait dans ses vocaux. Dès lors les succès se succèdent, et ELLA prend de plus en plus d’assurance sans heureusement perdre cette candeur juvénile qui rend ses premiers disques tellement plaisants, et même touchants à écouter. C’est une belle fleur qui est en train d’éclore dirait le poète, que je ne suis pas !
J’aime le < traitement > qu’elle donne à la vieille rengaine de l’orgue de barbarie intitulée ORGAN GRINDER’S SWING avec un court passage de trombone de SANDY WILLIAMS qui était pour moi, chez les souffleurs, la grande vedette de l’orchestre, avec, et c’est nouveau, quelques petites phrases en scat, style qu’elle développera d’une manière prodigieuse plus tard ! Il en est de même à la fin de JUST A SIMPLE MELODY traité avec grâce et désinvolture.
Nous arrivons en 1937 et les chefs-d’œuvre vont se succéder, un d’entre eux est prémonitoire c’est ROCK IT FOR ME , qu’elle détaille avec une verve irrésistible, allant jusqu’à prononcer en 1937 le mot < rock and roll > !!! Elle dit même :<j’en ai marre des symphonies, oh, rock it for me >!
A partir de 1937 la batterie de CHICK est mieux enregistrée, plus présente et on peut ne rien perdre de ses breaks et relances qui animent l’orchestre ! Enchaînons avec un titre particulièrement enlevé, qui eut en son temps un grand succès, THE DIPSY DOODLE, avec un splendide solo du trombone Sandy Williams et vocal fripon d’ELLA très en voix. Elle crée un swing considérable rien que pars sa manière aisée de distiller, de détailler son texte, encore une fois son articulation parfaite permet de toujours comprendre tout ce qu’elle chante ! Ce qui n’est pas si courant chez beaucoup de ses conscurs. Sa maîtrise vocale ne fait que progresser pour atteindre un niveau sans égal! Ce n’est plus une voix c’est un véritable instrument dont elle se sert avec une sûreté déconcertante. Nous le verrons très en détail, plus loin, lorsqu’elle se mettra à utiliser dans certains morceaux le chant scat avec des variations étourdissantes! Nous arrivons à un titre qui fût un énorme succès tant pour elle que pour l’orchestre, c’est le célèbre A-TISKET,_A-TASKET. Un des disques phares de l’année 1938 aux USA, qui restera indissolublement lié à son nom ! Cette interprétation lui procurera une immense popularité, tant auprès du public noir que du public blanc qui commence à la découvrir,
Autre grand titre qui lui permet d’asseoir sa réputation UNDECIDED thème à la mode dans ces années, que l’on doit à la plume du trompettiste CHARLIE SHAVERS , ne ratez pas les formidables breaks de CHICK à la batterie ! Mais hélas, le magique batteur devait mourir en Juin 1939 ! Courageusement et pendant deux ans, ELLA permet à tout l’orchestre de survivre, car elle en prend la direction, avec l’aide pour la partie musicale, et la mise en place des arrangements du saxo-ténor TED McRAE. Mais CHICK n’étant plus là pour propulser tous ses musiciens, le charme et la qualité de la musique n’y sont plus!
Elle entreprend, alors, une carrière de chanteuse soliste faisant des tournées souvent avec un trio, participant à l’occasion à des concerts du Jazz at the Philarmonic, enregistrant des disques avec des orchestres occasionnels. De cette époque en 1943, elle frappe un grand coup avec le groupe vocal les INK SPOTS. Le titre qui l’installe définitivement au sommet n’est autre que le fameux COW COW BOOGIE.
Devenue une star incontournable, à la technique vocale proche de la
perfection, il est normal qu’on lui ait proposé d’enregistrer des duos avec des partenaires dignes d’elle, tiens avec LOUIS SATCHMO > ARMSTRONG, sa trompette, sa voix irremplaçable, pour un titre où leur complicité fait merveille, CAN _ANYONE EXPLAIN !
En 1946, un disque a eu une importance considérable dans l’orientation de sa carrière, c’est son interprétation de FLYIN HOME . Pourquoi? Simplement parce que pour la première fois elle interprète tout un morceau en vocalises et scat, elle démarre en tournant autour du solo d’ILLINOIS JACQUET et en le phrasant à sa façon et en reprenant, à elle seule, l’arrangement de l’orchestre de LIONEL HAMPTON ! Un tournant, une nouvelle voie s’offre à elle, et on réalise qu’elle se sert de sa voix comme d’un instrument, ce n’est plus une chanteuse, mais un musicien soliste, surtout un saxophoniste qui improvise à longueur de morceaux !! Sa technique vocale est stupéfiante et rien ne lui est impossible. Je l’ai peu connue, mais un jour je lui ai fait la remarque suivante : < On voit que dans vos variations en scat, vous improvisez comme le fait un instrumentiste, notamment un saxo-ténor, ce que vous chantez
évoque un saxophone > ! Elle me répond aussitôt < Oui je suis un ténor, je suis dans ces cas là, Illinois Jacquet !!! >. Son débit, ses inflexions, ses notes tenues, le déroulement de ses solos en vocalises sont vraiment ce que l’on imagine voir sortir du pavillon d’un ténor et un très bon, hein Jean-Baptiste ? Un exemple demandez-vous, fébriles ??? Ecoutez de 1947, à quel point elle est étourdissante dans OH! LADY BE GOOD , connaissez-vous une chanteuse qui peut venir à la cheville d’ELLA ??? Poser la question c’est donner la réponse, personne ne peut offrir une telle palette, quant à son SWING vous venez de l’entendre!
On lui fait enregistrer, sur-enregistrer des ballades de tous les compositeurs blancs, malgré toute sa verve, les thèmes, les arrangements pompiers vont nous permettre de nous éloigner de ces morceaux genre : < bonne nuit, les petits ! > Bien sûr avec son talent elle ne peut rien rater, elle n’est pas ici en cause, mais ce sont les Directeurs dits < Artistiques > que l’on doit maudire!
Nous allons sauter sur l’essentiel, l’étourdissant, l’exaltant, même plus I’INCROYABLE, avec de sacrés potes, DUKE ELLINGTON, son orchestre, ses solistes, des invités comme BEN WEBSTER, RAY NANCE et quand même, il faut le mentionner < mon homme > CAT ANDERSON (pas assez en avant, hélas !) et pas assez longuement, et pas assez souvent !
Tiens, si on se < cognait > d’entrée ce formidable MACK THE KNIFE ??? Remarquez comme elle énerve, rend dingues tous les musiciens avec son SWING dément, elle ne cesse de POUSSER sans cesse de chorus en chorus, avec des changements de tons amenés avec un contrôle, une désinvolture inouïs, et elle en demande sans cesse, elle veut en chanter toujours un (chorus) de plus et clame au bon moment : < one more >, et plus loin : < just one more !!!!!!! Je n’ai qu’un mot que vous partagez, je suis sûr : PUTAIN !
Pour continuer à vous embarquer vers les sommets, voilà du même jour une renversante version de SWEET GEORGIA BROWN , étonnant comme elle s’approprie ce morceau que l’on connaît pourtant par cœur ! Et ses envolées dans le suraigu ? Stupéfiant !
Maintenant, on y va pour le classique de DUKE, IT DON’T MEAN A THING, avec en renfort BEN WEBSTER au ténor, RAY NANCE (vocal) qui dialogue avec elle, et en plus BEN, et l’after-beat du batteur SAM WOODYARD. Quel malheur, dans ce bonheur de 7 minutes, que CAT ANDERSON qui surgit enfin, ne joue pas plus et ne soit pas mieux enregistré, il lançait ses fusées depuis le dernier rang où se tenaient les trompettes ! Oserais-je réécrire : PUTAIN !???
C’est la folie avec un COTTON TAIL pris dans un tempo infernal, au cours
duquel elle dialogue avec le ténor PAUL GONSALVES qui essaie de rejouer ce qu’elle a improvisé. Elle fait preuve là, d’une vivacité, d’une virtuosité inouïe, d’une créativité, d’une joie de vivre, d’un punch, ABSOLUMENT UNIQUES !
De plus cette chanteuse qui plane très haut, au dessus de toutes les autres, était un être délicieux, d’une simplicité déroutante, presque étonnée de recevoir tant d’ovations, de témoignages d’admiration
Un être humain magnifique, quant à la chanteuse, je pense que vous avez
compris, et que vous savez à quoi vous en tenir !!!

Jacques MORGANTINI

Les Grands Noms du Jazz (7)

LIONEL HAMPTON (1908 – 2002)

LIONEL HAMPTON
Le virtuose du vibraphone, maître du swing euphorique.

Tout jeune Lionel Hampton étudie la musique et joue principalement de la batterie, mais aussi du piano. Il déménage souvent, de Louisville à Chicago puis en Californie. Tout en poursuivant ses études dans toutes ces villes, il est recruté par des orchestres locaux de qualité.
Il a 22 ans quand, en 1930, à Los Angeles, Louis Armstrong, déjà star populaire du jazz, le convie comme batteur pour un enregistrement…
« Il y avait un vibraphone qui traînait dans le studio et Louis m’a demandé si je connaissais quelque chose à cet instrument. Par chance, jeune, j’avais pris quelques leçons de xylophone, le grand-père du vibraphone. Il m’a demandé si je pouvais en jouer un peu sur un morceau. Je lui ai dit “bien sûr. Je n’en ai jamais joué, mais c’est le même clavier que celui du xylophone !” ».
Belle intuition de la part d’Armstrong et coup de foudre musical pour Hampton !
Après ce tout premier solo de vibraphone de l’histoire du jazz, Hampton adopte avec enthousiasme l’instrument et va en devenir, très vite, un incroyable virtuose.
Courte note « technique » : le vibraphone est souvent confondu, à tort, avec le xylophone dont les lames sont en bois. Il a été inventé en 1916 et commercialisé seulement en 1922. Le son de ses lames en métal, qui couvrent 3 octaves, vibre grâce à des tubes résonateurs placés sous les lames, frappées avec des mailloches spéciales.
En 1936 pour la prestigieuse revue musicale Down Beat, Hampton est « La révélation de l’année ».
La même année Benny Goodman, clarinettiste blanc surnommé dans les médias américains « The King of Swing », très populaire auprès du grand public (bien au delà donc des jazzfans pointus), le repère. Goodman a alors l’idée, assez incroyable compte tenu de la ségrégation raciale violente régnant aux USA à cette époque, de créer un quartet « mixte », dit multi-racial : deux musiciens blancs et deux musiciens noirs. Tous quatre, grands noms du jazz swing. Lionel Hampton est au vibraphone. Le groupe tourne beaucoup dans tous les Etats-Unis et enregistre de nombreux disques. Ce quartet est une belle réussite musicale et économique. Mais lors des concerts dans le sud des USA les deux musiciens blancs et les deux musiciens afro-américains ne mangent pas et ne dorment pas dans les mêmes établissements ! Les lois racistes locales l’interdisent. Le superbe film « The Green Book » a évoqué ce contexte exécrable. Qui a longtemps perduré.
De 1937 à 1940 Hampton participe à de nombreuses séances d’enregistrements avec moult stars du jazz de l’époque.
En 1940, tournant décisif dans sa carrière, Hampton crée son « big band ». Qui connait un succès immédiat. Succès qui va se perpétuer pendant plusieurs décennies. Il recrute pour les différentes sections du grand orchestre (trompettes, trombones, saxophones), avec une grande intuition, de jeunes musiciens qui vont, pour la plupart, devenir des pointures du jazz. Comme, entre autres, le trompettiste Quincy Jones qui fera une phénoménale carrière après son passage chez Hampton.
Son épouse Gladys (véritable « dragon » selon les jeunes musiciens !), tel un chef d’entreprise à la poigne de fer, a managé, le big band pendant plus de 50 ans. Ainsi libéré des contingences matérielles Hampton a pu se consacrer pleinement à sa musique.
Avec sa grande formation, Hampton a parcouru, tous les grands festivals et toutes les grandes scènes d’Europe, d’Australie, d’Afrique, du Japon, du Moyen-Orient et, bien sûr, des USA. Tout près de nous, Hampton a souvent triomphé à Bordeaux, Marciac et… Pau! Pau, où il a joué et triomphé plusieurs fois.
Tous ceux qui ont assisté à ses concerts en gardent un souvenir inoubliable. Pourquoi?
Car un concert d’Hampton avec son grand orchestre était effectivement un très grand moment. Un show étonnant et torride où, Hampton jouait principalement du vibraphone, de manière vraiment impressionnante, en virtuose exubérant… Mais pas que ! Se souvenant de ses débuts à la batterie, il offrait toujours un solo où il jonglait avec les baguettes de manière spectaculaire, sans perdre le tempo ! Même fort âgé (à presque 90 ans !) il a continué à proposer ce solo de batterie très attendu par le public. Longtemps, tant qu’il a pu accomplir cette performance physique, il sautait même à pieds joints sur un tom basse et jouait en dansant, un solo avec les pieds… Et, spécial bonus, en « live »: de renversants solos de piano joués de manière percussive avec deux doigts !
Hampton est considéré comme un précurseur du Rock And Roll avec ses tubes, très attendus par le public, comme « Flying Home » et « Hey ! Ba ba re bop » ! Sans oublier son mythique « Oh when the saints » où il descendait dans la salle suivi par tous les musiciens de l’orchestre. Dans les années 50 il avait « mis le feu » à l’Olympia de Paris. Que dire de plus ?

Pierre-Henri Ardonceau