LES GRANDS NOMS DU JAZZ (10)

BILLIE HOLIDAY (1915/1959)

BILLIE HOLIDAY (1915/1959)
Légende du jazz vocal au destin tragique
Née dans une Amérique raciste où il ne faisait pas bon être femme, noire et pauvre, Billie Holiday a chanté ces malédictions avec une sensibilité émouvante. Misère, viols, prostitution, drogues, prison… ont jalonné son existence. Mais sa courte vie (elle est morte à 44 ans) ne peut se résumer à cette litanie d’épreuves. Elle fut une chanteuse exceptionnelle. Profondément originale. Une voix authentique, vibrante, sensuelle, puissante et expressive. Une voix déchirante, riche de son humanité et… de ses imperfections. Elle ne chantait pas comme les autres chanteuses célèbres de son époque. Elle n’a jamais « scatté » (manière de chanter par onomatopées qui était la spécialité d’Ella Fitzgerald).
Sa mère a 13 ans lorsque nait Eléonora Fagan, son véritable patronyme… Eléonora ne choisira qu’à l’âge de 15 ans son nom de scène : Billie Holiday. Son père, musicien, est peu présent (euphémisme…). Toute jeune elle travaille dans un bordel et est violée à 13 ans. « Même une putain ne doit pas être violée » écrira t’elle dans son autobiographie. Elle rêve d’être danseuse. Fiasco. Mais à 15 ans dans un petit club où elle fait le ménage le patron lui propose de chanter, payée « au chapeau »: son grain de voix et son « phrasé » singuliers plaisent et lui rapportent ses premiers cachets. Elle admire alors Louis Armstrong et Bessie Smith, ses premières influences. Sa réputation grandit dans les boîtes d’Harlem. A 18 ans elle est la maîtresse de Benny Goodman, très célèbre à l’époque. Il l’engage dans son orchestre, avec l’appui de John Hammond prestigieux impresario des années 30. Dans la foulée, suivent des enregistrements où elle révèle son étonnant talent à métamorphoser des petites ritournelles populaires en moments d’émotions swingués. En 1935 elle a tourné dans un court métrage de Duke Ellington « Symphony in Black ». Elle y joue le rôle d’une prostituée maltraitée par son souteneur. Une situation qu’elle a vécue…
En 1937 elle devient pendant un an la chanteuse vedette du Big Band de Count Basie. C’est elle qui choisit son propre répertoire avec des thèmes évoquant pour nombre d’entre eux sa vie de femme malheureuse, malchanceuse et mal traitée. Après Basie elle est embauchée par Artie Shaw, très populaire à l’époque. Tous les musiciens du groupe sont blancs… Elle devient ainsi l’une des toutes premières chanteuses noires à faire une tournée avec un orchestre blanc. Dans le sud des USA, ségrégationniste, à plusieurs reprises elle doit rester enfermée dans son hôtel « pour noirs » sans pouvoir chanter. La réflexion d’un patron de club «pas de négresse chez moi » la révolte. Dépitée elle quitte A. Shaw.
Entre les tournées avec les grands orchestres elle s’impose comme figure majeure du jazz new-yorkais. Elle se produit régulièrement dans les clubs d’Harlem avec Lester Young, génial saxophoniste ténor dont le style intimiste s’accorde parfaitement avec le sien. L.Young, avait surnommée Billie « Lady Day ». Il restera son ami de coeur dans une relation platonique qui perdura jusqu’à la mort du saxophoniste.
En 1939 elle rencontre un poète, Abel Meeropol, qui lui propose de chanter un de ses textes: « Strange Fruit » (Fruit Etrange). Réquisitoire puissant et bouleversant contre les lynchages que subissent les afro-américains. Le fruit étrange c’est le corps, pendu à un arbre, d’un noir qui vient d’être lynché par le Ku Klux Kan. L’interprétation de Strange Fruit par Billie au célèbre Cafe Society de New York (où elle est engagée pendant 9 mois) rencontre un énorme succès. Ce thème est devenu emblématique dans la carrière de Billie.
Durant les années 40, Billie Holiday trône au zénith de sa carrière, mais sa vie personnelle est en lambeaux. Elle a obtenu de lucratifs contrats d’enregistrement avec de prestigieux labels. Elle a de nombreux engagements pour des concerts et tournées. Mais ses importants revenus sont consacrés principalement à deux choses : entretenir ses nombreux compagnons (souvent malveillants et brutaux) et se procurer de la drogue… En 1941 elle tourne, aux côtés de Louis Armstrong, dans le film « New Orleans ». Mais dans ses superbes mémoires (Lady Sings The Blues) elle s’indigne : on lui a confié un « rôle de boniche »!
Dans les années 50, sa carrière connaît quelques hauts et, beaucoup, de bas. Ses addictions (alcool et drogues dures) de plus en plus fortes la rendent imprévisible. Mais quand elle se ressaisit sa voix est toujours aussi envoûtante.
En France en 1958 son dernier passage à l’Olympia est catastrophique. Mais dans un petit club parisien après l’Olympia elle chante toute la nuit de manière pathétique devant, entre autres, Francoise Sagan et Brigitte Bardot… fascinées.
Sa santé devient de plus en plus fragile. Billie meurt en 1959 sur un lit d’hopital de NY devant un policier venu l’inculper pour détention d’héroïne!

Pierre-Henri Ardonceau

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