PORGY AND BESS (Rémi Toulon / Philippe Chagne , duo) – Un projet prometteur

Créé à Boston il y a exactement 90 ans, le chef-d’oeuvre PORGY AND BESS de George Gershwin n’a décidément rien perdu de son actualité et de sa pertinence.
Le contexte de crise économique dans lequel il a été écrit ou les problèmes de racisme et de ségrégation qu’il met en lumière sont toujours tristement d’actualité.
Quant aux mélodies intemporelles qui jalonnent cet opéra, elles ont nourri le répertoire des musiciens de Jazz (et pas que) et sont devenus de véritables standards, source constante d’inspiration depuis plusieurs décennies, tout style confondu.

Un tel projet, a fortiori en duo, n’aurait pas été possible sans la confiance et la complicité qui nous uni depuis 1997, date de notre premier concert au sein du trio Take 3.
Nous n’avons cessé depuis de jouer, improviser, arranger et enseigner dans des contextes très variés.
Le duo bénéficie en outre de la polyvalence de Philippe Chagne (sax ténor, baryton et clarinette basse) qui permet d’accéder à une palette de couleurs particulièrement riche pour un duo.

Si jouer et interpréter cette musique aujourd’hui reste un projet ambitieux et marqué par des précédents historiques (Ella & Louis, Miles Davis, Oscar Peterson, Hank Jones, etc.), il n’en est pas pour autant anachronique ni « réchauffé ». Dès les premiers concerts, nous avons ressenti la fraicheur et la magie de ce répertoire qui offre, presque un siècle après sa création, des explorations artistiques toujours aussi passionnantes.
Nous nous sommes réparti les différentes mélodies et le résultat de ce travail d’arrangement illustre les esthétiques qui nous sont chères, du blues et Jazz des origines à des formes beaucoup plus libres et actuelles, en passant par quelques touches « latines ».

LE REPERTOIRE

  • SUMMERTIME
  • A WOMAN IS A SOMETIME THING
  • MY MAN’S GONE NOW
  • BUZZARD SONG
  • THERE’S A BOAT DAT’S LEAVIN’ SOON FOR NEW YORK
  • STRAWBERRY WOMAN
  • OH LAWD, I’M ON MY WAY
  • IT AIN’T NECESSARILY SO
  • I LOVES YOU PORGY
  • HERE COMES THE HONEY MAN
  • I GOT PLENTY O’ NUTTIN’
  • OH BESS, WHERE’S MY BESS
  • BESS, YOU IS MY WOMAN NOW

POURQUOI UN FINANCEMENT PARTICIPATIF

Comme chacun sait, l’époque est au streaming et au numérique, ce qui offre de nombreux avantages pour l’auditeur, avec un accès à des quantités infinies de musique mais ce qui a aussi beaucoup changé la donne pour les musiciens…
Les bénéfices générés assez aléatoirement par ce système sont très loin de compenser les ventes « physiques » sur lesquelles nous pouvions compter il y encore quelques années pour initier de nouveaux projets.
Il est pourtant indispensable de continuer à créer de nouveaux répertoires, bref, rester en vie artistiquement mais aussi professionnellement car sortir un album c’est avoir une « actualité » sans laquelle aucune diffusion ni programmation n’est vraiment possible.
Le choix du financement participatif s’est donc rapidement imposé pour la plupart d’entre nous.

Il s’avère que vous participez et soutenez déjà depuis plusieurs années nos projets musicaux en venant aux concerts, en achetant des albums, en ayant organisé vous-même un concert… Ou tout ça à la fois!

Vous solliciter aujourd’hui, c’est donc une manière d’entretenir ce lien et de vous proposer, si vous le pouvez, de participer à la création de ce nouvel album en duo.

Il ne s’agit pas d’un appel aux dons mais d’un système qui vous donne le choix entre plusieurs contreparties en fonction du montant de votre participation.

Participer, ça peut être simplement relayer l’info, faire suivre cette campagne, en parler aux personnes de votre entourage à qui ce projet pourrait parler.

Pour info, voilà les étapes à venir pour mener à bien cette aventure:

  • 2 journées de studio
  • Mixage
  • Mastering
  • Réalisation de la pochette / graphisme de l’album / photo
  • Pressage/fabrication
  • Droits SACEM / SDRM
  • Réalisation d’un teaser vidéo

Voilà vous savez tout… Un immense merci d’avance!!

CONTREPARTIES

  • 10€ album au format numérique
  • 15€ CD dédicacé **
  • 25€ pack CD dédicacé + 1 cd au choix: Philippe Chagne (« My Mingus Soul ») ou Rémi Toulon (« Novembre », « Quietly » ou « Adagiorihno »). **
  • 30€ album numérique + 1 place pour le concert de sortie d’album
  • 35€ CD dédicacé + 1 place pour le concert de sortie d’album **
  • 50€ album numérique + 2 places pour le concert de sortie d’album
  • 55€ CD dédicacé + 2 places pour le concert de sortie d’album **
  • 60€ pack CD dédicacé + partitions en pdf **
  • 65€ pack « Masterclass »: CD dédicacé + un cours particulier d’1h avec Philippe ou Rémi
  • 100€ pack « Masterclass stéréo »: CD dédicacé + un cours particulier d’1h avec Philippe et Rémi
  • 500€ pack CD dédicacé + 1 concert d’1h30 en duo (frais de déplacement / hébergement à prévoir si concert hors IDF) ** + frais d’envoi éventuels, à préciser

COMMENT PARTICIPER

Pour simplifier le processus, c’est Philippe Chagne qui va centraliser les participations.
Pour le contacter:
phchagne12@gmail.com
06 80 07 01 47

Philippe Chagne et Rémi Toulon


LES GRANDS NOMS DU JAZZ (20)

CLAP DE FIN  » Quelques grands Oubliés »

Les jazzfans s’adonnent souvent au « name dropping , se délectant à cet étonnant exercice de « lâchers de noms »!
Vingt chroniques « Les grands noms du jazz » ont été publiées en 9 mois dans nos colonnes. Ce fut difficile de choisir seulement 20 noms parmi tous les patronymes des grands jazzmen! Ne pas pouvoir présenter des portraits de musiciens considérés par les historiens du jazz comme des « pointures » fut un crève-coeur… Ce dernier article est un (tout) petit rattrapage consacré à présenter une liste de quelques grands « oubliés » que j’apprécie… Liste forcément incomplète, évidemment, tant le monde du jazz, depuis sa naissance il y a un siècle, foisonne de jazzmen talentueux…
Notre proposition pour ce dernier article, d’une sélection d’« oubliés » est discutable. J’en conviens !

Le jazz à ses débuts fut dominé par les cuivres. Avec le merveilleux trompettiste Louis Armstrong en incontestable « tête de gondole ». Mais avec l’ère du « jazz swing » dans les années 30 de grands saxophonistes ténors ont brillé. Comme Coleman Hawkins (1904/1969), considéré comme le « père » du « saxophone jazz », au son riche, chaleureux et puissant. Dans un style complètement opposé Lester Young (1909/1959), jouait avec un son « détimbré » et un vibrato discret, avec une totale maîtrise de la « décontraction »… Lester est considéré comme le précurseur du jazz cool des années 50.

Dans les années 30 un pianiste a stupéfié ses collègues et le grand public : Art Tatum (1909/1956). Aveugle, ce maître du clavier  était un « extra terrestre » des 88 touches. A la virtuosité littéralement sidérante. Il n’a pas fait école car… inimitable disent ses « collègues » pianistes!

La naissance du jazz moderne à la fin des années 40 a généré l’apparition de moult instrumentistes passionnants. Comme, chez les trompettistes, Clifford Brown (1930/1956), mort à 26 ans dans un accident de voiture. Tous les spécialistes pensent qu’il serait devenu un très grand à l’égal de Dizzy Gillespie ou Miles Davis.

Chet Baker (1929/1988) charmeur au son délicat. Clark Terry (1920/2015) : étonnant trompettiste tous terrains… Roy Hargrove le flamboyant (qui a même « flirté » avec le rap !). Et bien sûr, pour les fidèles de Jazz in Marciac : Wynton Marsalis grand connaisseur et pratiquant de haut niveau de tous les styles de l’histoire du jazz.

Charles Mingus (1922/1979) compositeur et arrangeur prolixe, chef d’orchestre charismatique et contrebassiste puissant fut un personnage flamboyant et original.

Chez les saxophonistes, un très grand oublié de nos chroniques : Sonny Rollins le « Colosse du Saxophone », né en 1930, qui jouait encore tout récemment à plus de 90 ans ! Mais aussi, entre autres saxophonistes : Stan Getz (1927/1991), au jeu feutré et tendre, qui a popularisé la « bossa nova ». Gerry Mulligan maître du saxo baryton. Eric Dolphy (1928/1964) et Ornette Coleman (1930/2014) : les pères d’un free jazz inventif. Archie Shepp au son chaleureux, né en 1937, qui joue toujours à 87 ans !

Les batteurs be-bop ont révolutionné l’approche de leur instrument : Kenny Clarke (1914/1985), Max Roach (1924/2007), Art Blakey (1919/1990). Roy Haynes né en 1925 est un cas. Il jouait encore tout récemment à près de 99 ans! Avec eux le batteur ne se contente plus de simplement maintenir le tempo pour les danseurs, il devient un soliste à part entière. Art Blakey fut le leader d’un quintet mythique : les « Jazz Messengers ». Ses « Messengers » ont triomphé partout dans les années 60, contribuant à populariser le jazz moderne. Elvin Jones (1927/2004) le puissant batteur de John Coltrane, a fait « exploser » le rôle et la place de la batterie dans le jazz. Tony Williams (1945/1997) jeune prodige découvert par Miles Davis à l’âge de 16 ans, incarne la maîtrise parfaite de la polyrythmie.

De nombreux pianistes importants sont apparus à partir des années 50. Bud Powell (1924/1966), personnage mystérieux, au phrasé hallucinant, tel un Charlie Parker du clavier. John Lewis (1920/2001) fondateur du Modern Jazz Quartet (le MJQ) souhaitant donner ses lettres de noblesse au jazz, il faisait jouer ses musiciens en queue de pie et noeud papillon… Dave Brubeck (1920/2012), « fabricant » de tubes, comme son célèbre « Take Five » où il fait swinguer un thème à 5 temps… Alors que le jazz se joue généralement dans des tempos à 4 temps ! Oscar Peterson (1925/2007) au swing sans faille. Bill Evans (1929/1980) pianiste subtil aux côtés de Miles Davis notamment sur le chef d’oeuvre « Kind of Blue ». Keith Jarrett (né en 1945) qui ne peut plus jouer après un avc récent mais dont le disque  chef d’oeuvre « The Köln Concert » s’est vendu à plus de 5 millions d’exemplaires ! Sans oublier deux magnifiques « enfants » de Miles Davis : Chick Corea (1941/2021) et Herbie Hancock (né en 1940 et toujours très actif à 83 ans). Tous deux spectaculaires et inventifs. Michel Petrucciani (1962/1999), enfin, dont j’ai suivi de très près toute la carrière avec un immense plaisir.

Au début de ce texte j’ai ironisé sur le « name dropping » ! Et c’est pourtant ce que je viens de pratiquer dans cette ultime chronique !!!

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (19)

RAY CHARLES (1930/2004)

« The genius »
Né dans une famille très pauvre, en Georgie, dans le sud ségrégationniste des Etats Unis, Ray Charles a très mal débuté dans la vie. Son enfance est marquée par de graves traumatismes physiques et psychologiques. Père absent. Il est témoin impuissant de la noyade de son petit frère dans un baquet d’eau bouillante dont sa mère se servait pour laver le linge. Puis atteint d’un glaucome il devient définitivement aveugle à 7 ans. Sa mère le place dans une institution pour enfants aveugles. Il y reste 9 ans. Il y apprend le braille et suit une éducation musicale : piano et saxophone. La musique et le chant le passionnent. Le gospel notamment, jouera un très grand rôle dans sa carrière future. Très jeune il avait pianoté dans l’épicerie/bar de son quartier où l’épicier jouait des boogie-boogies !
« Je vois le monde avec mes oreilles…» a t-il écrit de belle manière dans sa biographie.
A 15 ans sa mère décède et il décide de devenir pianiste professionnel. De longues années de galères commencent alors. Pianiste de bar, mal payé, il se déplace, difficilement à cause de sa cécité, dans tous les Etats Unis. Il imite, au piano et au chant, le style doucereux de Nat King Cole, très populaire à l’époque. Mais, il le reconnaitra plus tard, il n’était pas fait pour être un crooner! Il joue ensuite dans des orchestres de danse. Il s’installe à Seattle où il rencontre Quincy Jones, grand trompettiste de jazz et surtout futur arrangeur et producteur de Michael Jackson ! Ils resteront très liés et Q. Jones produira plus tard de très importants albums de Ray Charles. Il accompagne aussi des grands bluesmen. Ce qui va fortement influencer son futur style où le blues sera toujours omniprésent.
Au début des années 50 il signe un contrat avec le superbe label Atlantic. Les producteurs « éclairés » de ce label lui laissent toute liberté de création pour ses enregistrements. Moment essentiel qui va amorcer le « décollage » de R.Charles vers de nouveaux horizons. En 1955, avec son premier tube « I got a woman », le grand public découvre l’originalité profonde de la musique de Ray Charles. Incroyable « cross over ». Fusion de différents styles : jazz, gospel, blues, rythm and blues, soul music. Ce qui surprend le plus à l’époque c’est qu’il transgresse les codes originels du gospel qu’il respecte certes formellement mais en les profanant. Il les amène vers des phrases joyeusement charnelles. Egrillardes. Parlons clair, les paroles d’« I got a woman » signifient: « Je cherche une gonzesse pour b… » ! Les églises condamnent fermement: « impie » ! « On ne vend pas la musique qui appartient à Dieu ». De nombreux concerts sont perturbés… Le grand public s’en fout. Il en redemande !
R. Charles tourne désormais avec un petit groupe d’excellents jazzmen et idée superbe qui va contribuer à sa popularité pour tout le reste de sa carrière : il crée un choeur de (belles) chanteuses : The Raelettes (orthographié parfois Raelets). Elles « martellent » systématiquement les débuts et fin de phrases de Ray…
C’est grâce à elles que nait le célèbre thème « What I say ». A la fin d’un concert signé contractuellement pour une durée de 4 heures Ray Charles n’a plus de thèmes à proposer au public… Il dit, superbe idée, à ses choristes de dialoguer avec lui ad libitum à partir de ses improvisations vocales et pianistiques… Ainsi est né un des tubes planétaires de Ray…
En 1959 il change de label. Il signe un contrat superbement rétribué chez ABC Paramount. Il veut continuer sa percée auprès du public blanc qui achète ses disques et assiste à ses concerts
Les tubes s’enchaînent. Pour mémoire, courte liste (bien incomplète !) des plus connus : Georgia on my mind (en hommage à son état de naissance), Hit the road Jack, Hallelujah I love her so, Unchain My Heart…
Les ventes deviennent gigantesques. Les concerts font le plein dans le monde entier. 
En France Ray Charles était très populaire. Grâce à Daniel Filipacchi et Frank Ténot. Qui, à la fin des années 50, diffusaient sa musique dans leur mythique émission « Pour ceux qui aiment le jazz » sur Europe 1. Mais qui programmaient aussi ses tubes dans leur émission «Salut les copains », toujours sur Europe 1. En fin d’après midi après le lycée les adolescents amateurs de yé-yé ont ainsi découvert la soul music de Ray Charles. Moult d’entre eux sont ainsi devenus des jazzfans…
Le cérémonial de ses concerts était étonnant. L’orchestre jouait sans lui quelques morceaux puis le maitre de cérémonie hurlait : «Mesdames et messieurs veuillez accueillir The Genius… Mister Ray Charles… ». Ray apparaissait alors en dansant maladroitement, soutenu par son « valet », avant, tout courbé, de s’installer au piano où il allait jouer en se balançant en d’amples mouvements de son corps… Nos lecteurs ayant assisté à ses concerts à Pau ou à Marciac doivent s’en souvenir, émus…
Sa voix brûlante, écorchée au bord de la déchirure est inoubliable.
Ray : personnage hors norme. Impossible d’évoquer toutes les étonnantes facettes de sa personnalité dans l’espace limité de cette chronique.
Ray Charles a vendu plusieurs dizaines de millions d’albums et a profondément influencé la musique du 20ème siècle. Elvis Presley, les Rollings Stones, et Stevie Wonder, entre autres se sont dit influencés par sa musique…

Les Grands Noms du Jazz (18)

Charlie « Bird » Parker (1920/1955)

L’oiseau de feu du be-bop
En 1948 Charlie Parker avait choisi, pour des raisons mystérieuses, « Bird » comme surnom*. Saxophoniste alto, compositeur et chef d’orchestre, C.Parker est né à Kansas City. Ville très importante dans l’histoire du jazz, place forte du style swing dans les années 30. Tout jeune il travaille intensément son instrument. A 17 ans il débute sa carrière professionnelle dans sa ville natale. Mais… New-York l’attire. A 19 ans il s’y installe. Débuts difficiles: il travaille comme plongeur dans le restaurant où se produit le pianiste Art Tatum. Fasciné par le génie harmonique d’A.Tatum, il s’en inspirera pour faire évoluer sa future vision du jazz. Au début des années 1940 il commence à se faire remarquer comme soliste étonnant au sein de grands orchestres très populaires à New-York. Tournant décisif dans sa carrière, Parker participe au début des années 40, avec, entre autres, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk, aux fameuses jam-sessions du « Minton’s », club mythique d’Harlem où le be-bop (le jazz moderne) va naître. Dans l’histoire du jazz l’apparition du be-bop est considérée  comme une « révolution ». Les be-boppers sont des « enfants » du jazz classique, ils ne renient pas les anciens… mais ils revendiquent une façon d’être différente et un nouveau langage. Ils sont réfractaires à une certaine « routine » propre aux orchestres swing. Pour eux, l’univers du jazz classique est trop simpliste, trop commercial.
Entre 1942 et 1944 une grève très suivie des studios d’enregistrements va avoir comme conséquence une « naissance » quasi secrète du be-bop. Seuls les jazzmen et auditeurs présents lors des jam-sessions du Minton’s ont su qu’il se passait quelque chose d’assez incroyable dans le petit monde du jazz… Aucun disque  n’en a témoigné… La grève des studios terminée, le be-bop se diffuse rapidement via de nombreux enregistrements. Les têtes d’affiche du nouveau style (comme Dizzy Gillespie, Thelonious Monk et, bien sûr… Bird) sont programmées dans moult concerts. Aux USA et dans le monde entier. Très vite C. Parker est reconnu comme un improvisateur original et extraordinaire. Il est très sollicité. Dès 1945 il est considéré comme un des (le?) plus grand improvisateur de l’histoire du jazz. Durant sa courte carrière (une quinzaine d’années…), il a mis toute sa virtuosité instrumentale au service d’une remarquable imagination rythmique, harmonique et mélodique en proposant une nouvelle sonorité pour le saxophone. Sonorité qui se différencie des nuances veloutées de ses prédécesseurs: mate, incisive, tranchante, ultra-puissante.
En concert il alternait prestations extraordinaires et… calamiteuses ! Car très vite ses addictions à l’héroïne et à l’alcool ont affecté gravement sa santé physique et psychique et ont perturbé sa carrière. Il était capable de se présenter parfois à ses concerts et à ses enregistrements dans un état désastreux… si du moins il parvenait à venir ! Mais cela ne l’a pas empêché, quand il se sentait bien, d’offrir des solos virtuoses et époustouflants…
Lors d’une tournée sur la côte ouest des USA fin 1945, il avait mis le feu à sa chambre d’hôtel et avait dû effectuer un séjour de 7 mois en psychiatrie à l’hôpital de Camarillo (il écrira un superbe thème dédié à ce séjour : « Relaxin at Camarillo » !). A la sortie de l’hôpital il se remet sur pied avec un superbe nouveau quintet dans lequel joue Miles Davis à la trompette. Miles Davis vénérait Parker et a enregistré avec lui quelques chefs- d’oeuvre du be-bop.
En 1948 un luxueux club de jazz new-yorkais est créé. Il lui est dédié : Le « Birdland ». Il y jouera peu car, souvent privé de sa carte professionnelle de travail pour ses addictions à l’héroïne, il n’est pas autorisé à s’y produire !
À Paris, salle Pleyel, en 1949 il a bluffé Boris Vian qui, rendant compte de la prestation de Bird écrit : « Il a l’œil vitreux comme un zombie, mais alors, ensuite, quel déluge ! On est soufflé, ahuri « .
Dans les années 50 son comportement instable et autodestructeur, le pousse plusieurs fois, à nouveau, à tenter de mettre fin à ses jours. Sa santé se dégrade fortement (ulcères, cirrhose…) mais il offre quand même, malheureusement de plus en plus rarement, quelques éclairs de son génie musical… Nouveau choc, qui n’améliore pas son état : sa fille Pree meurt toute jeune en 1954.
Le 9 mars 1955, totalement épuisé, Charlie Parker se rend, pour y être hébergé, à l’hôtel de grand luxe new-yorkais où vivait l’extravagante baronne anglaise Pannonica (dite « Nica ») de Koenigswarter, qui fut la mécène de nombreux musiciens de jazz moderne. C’est dans une chambre de cet hôtel que, trois jours plus tard, Parker décède en regardant une émission de télévision. Succombant, selon les constatations du médecin à des ulcères, une pneumonie et vraisemblablement aussi à une crise cardiaque. Dans l’ acte de décès le médecin aurait évalué l’âge du défunt à « environ 60 ans ». Parker en avait 35 !
En 1988 Clint Eastwood dans son film (de 2h40), «  Bird », consacré à la vie de Parker, nous montre tout cela. Quelques scènes évoquant ses « polydépendances » destructrices sont, à l’image de la vie de Parker, à la limite du soutenable.
* Plusieurs interprétations, fort différentes, ont été proposées par ses biographes…
Après sa mort, des admirateurs ont orné les murs de New York du graffiti « Bird lives » (Bird vit). Sa contribution à l’histoire du jazz est immense, et de nombreux jazzmen se réclament de son héritage.
Si Louis Armstrong a codifié, l’art de l’improvisation Charlie Parker, l’a enrichi.
Selmer la prestigieuse fabrique française de saxophones a dédié un modèle haut de gamme à Parker.

Pierre-Henri Ardonceau

Les Grands Noms du Jazz (17)

THELONIOUS MONK (1917/1982)

Le mystérieux…
Evoquer en quelques lignes la vie et l’oeuvre de Thelonious Monk n’est pas chose facile… Tant le personnage est (vraiment !) complexe. « Surréaliste, imprévisible, fou, génie des plus singuliers à la limite de l’autisme, silencieux, déglingué, excentrique, insolite, poète énigmatique, ours bougon, ovni du jazz aux tenues vestimentaires extravagantes, musicien hors- norme… ». Telle est la liste, bien incomplète, des avis de spécialistes de l’oeuvre de Monk, collectés en préparant ce portrait…
A l’âge de 4 ans la famille s’installe à New-York. Pas à Harlem, mais dans un quartier multi-ethnique où les affrontements entre communautés sont fréquents et violents. Mère aimante. Père très vite absent pour troubles psychiatriques. Il y a un piano à la maison. Les enfants suivent des cours. Thelonious pratique assidument l’instrument familial. Tout jeune il gagne des concours amateurs. A 17 ans il part, pour deux ans, en tournée dans l’Amérique profonde avec une prédicatrice évangéliste. Après l’avoir quittée, il joue beaucoup à la tête de petits groupes, dans des bars et des clubs de New-York. Son jeu est alors très influencé par le style dit piano « stride ». Un style qui a précédé et engendré le jazz swing. Un de ses voisins James P. Johnson maître du stride lui a donné des conseils. A 21 ans, en 1941, il est recruté au Minton’s Playhouse, club mythique de Harlem.
C’est au Minton’s que le be-bop (le jazz moderne) est né.
Chaque soir, très tard, de jeunes et brillants jazzmen y participent à des jam-sessions jusqu’à l’aube. Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Kenny Clarke et … Monk, entre autres, y inventent, sans le vouloir ni le savoir explicitement, mais très joyeusement, un nouveau style.
Après avoir joué avec des grands orchestres dont celui de Dizzy Gillespie, il est recruté, en 1944, par Coleman Hawkins, grand maître du saxophone ténor de l’époque, pour se produire dans un cabaret prestigieux : l’Onyx Club. C’est avec lui que Monk enregistre son premier disque.
Mais, paradoxalement, au moment où le jazz moderne triomphe Monk va traverser une période difficile qui va durer plus de dix ans. Il ne tient pas à renouveler ses expériences orchestrales auxquelles son monde musical ne peut guère s’adapter. Il refuse de jouer le répertoire habituel des pianistes de son temps. Sa musique est alors considérée trop « sauvage », trop « brutale », trop fondamentalement nouvelle et originale pour séduire de prime abord. Tout est déroutant, en effet, dans le jeu et les thèmes de Monk. Ni traits élégants, ni style coulant, ni mélodies charmeuses mais dissonances et décalages rythmiques surprenants. Et, paradoxalement, séduisants !
L’usage de stupéfiants complique sa situation. Arrêté plusieurs fois pour possession de « substances » interdites, des policiers racistes et violents le frappent à coups de matraque. Il fait un séjour en prison et en hôpital psychiatrique. Longtemps privé de sa carte syndicale de musicien à cause de condamnations, il lui est impossible de jouer dans les clubs new-yorkais pendant plusieurs années.
Mais cela ne l’empêche pas d’enregistrer de nombreux albums pour des labels prestigieux (Blue Note, Riverside..). Ces disques, à l’époque, ne se vendent pas très bien. Ils sont devenus depuis cultissimes !
En 1954 il joue en concert et enregistre à Paris. Lors de ce séjour parisien il rencontre la très étonnante (c’est le moins qu’on puisse dire!) baronne Nica de Koenigswarter. Elle est riche, fascinée par le petit monde du jazz, vit à New York et aide de multiples manières ses amis jazzmen qu’elle promène dans le rues de la « grosse pomme » dans sa superbe… Bentley !
En 1957 Monk joue quelques mois avec John Coltrane : un disque en témoigne. Chef d’oeuvre : deux géants en pleine harmonie.
Puis, jusqu’au milieu des années, 70 Monk se produit, avec succès, en concert dans le monde entier. Son style original a, enfin, été adopté par les jazzfans et au delà. Il joue, généralement en quartet avec un saxophoniste. Son comportement sur scène est étrange. Pendant les solos du saxophoniste : il se lève, abandonne le clavier, tourne en rond tel un derviche tourneur, les yeux fermés et… rejoint le piano au moment précis où le saxophoniste termine son solo!
En 1976 Monk se retire définitivement de la scène jazz. Il réside dans la grande maison de Nica, au bord de l’Hudson. Ne quitte pratiquement plus son lit, ne parle quasiment plus et ne joue plus du magnifique piano à queue qui trône dans le salon de la baronne. Il se laisse mourir et décède à 65 ans. Foule énorme à son enterrement en présence au premier rang de l’église de sa femme Nellie et de Nica.
Il nous reste ses disques et la soixantaine de ses magnifiques et étonnantes compositions dont la plus connue : « Round About Midnight » (« Autour de minuit »).
Indispensable : visionner le magnifique documentaire « Straight No Chaser », produit par Clint Eastwood, pour voir et entendre, « en vrai », tout ce qui vient d’être dit ici!Téléchargement gratuit sur internet :

Pierre-Henri Ardonceau

Les Grands noms du Jazz (16)

MILES DAVIS (1926/1991)

Le Picasso du Jazz
Miles Davis est une figure incontournable du jazz. Un des très rares jazzmen dont la popularité va bien au-delà du public des jazzfans. A plusieurs reprises, en à peine une cinquantaine d’années, Miles Davis a totalement « chamboulé », le paysage du jazz moderne. Enfant du be-bop il va être l’inventeur et le propagateur brillant et séduisant de plusieurs styles novateurs.
Fils d’un dentiste aisé et cultivé de l’Illinois, Miles Davis commence à jouer de la trompette à l’âge de treize ans et devient professionnel à 16. Il découvre, émerveillé, le jazz moderne lorsque Charlie Parker et Dizzy Gillespie jouent dans le cadre d’une tournée à St Louis, sa ville natale. Il décide en 1944 de les rejoindre à New-York. Son père finance son installation ainsi que son inscription, fort coûteuse, dans la prestigieuse école musicale Juilliard. Les études à la Juilliard ne le passionnent guère. Il participe aux fameuses jam-sessions nocturnes du « Minton’s », le club où est né le jazz moderne (le be-bop). « J’ai plus appris en une nuit au Minton’s qu’en deux ans d’études à la Juilliard School ! » a-t-il écrit dans ses mémoires. Il désire ardemment rencontrer C. Parker son idole. Il le cherche chaque soir dans les clubs où il est censé jouer. Mais Parker, déjà prisonnier de ses addictions multiples, est difficile à « localiser » dans ses erratiques déambulations new-yorkaises. Leurs premières rencontres déconcertent Miles. Parker est semi-clochardisé. Imprévisible ! Mais, même « déglingué », Parker est lucide. Il conseille Miles : « Ne te défonce jamais, ce n’est pas la dope qui donne le talent ! ». Miles n’a malheureusement pas toujours écouté ce conseil… Dizzy Gillespie fait partie en 1944 du quintet de Parker mais très vite il ne supporte plus ses excès et errances. Il quitte le groupe et… Parker recrute Miles. Ce qui change le son du quintet. Miles ne joue pas du tout comme Dizzy. Il n’en a ni la virtuosité ni la puissance. Il a un son lisse. Il propose un « jazz de brume » très différent du « jazz de braise » des trompettistes be-bop. Son jeu est intériorisé, épuré, sans vibrato, déployant un discours apparemment minimaliste dans lequel le temps semble suspendu. « Ce n’est pas la peine de faire des tas de notes. Il suffit de jouer les plus belles » a-t-il déclaré lors d’une interview.
En 1949 un court séjour à Paris lui « laisse un goût de bonheur ». Sa musique y est bien accueillie et surtout il rencontre Juliette Gréco. Coup de foudre, qui a perduré toute sa vie, pour la chanteuse « germanopratine ». Pas de ségrégation raciste à cette époque dans le milieu qu’il fréquente à Paris (Vian, Sartre…). Il a pour la première fois la sensation, comme il le dira dans son autobiographie « d’être traité comme un être humain ». Très amoureux de Juliette Gréco, il ne l’épousera pas. A l’époque, les unions « mixtes » entre Noirs et Blancs sont encore illégales dans de nombreux États américains. Il déclara à ce propos : si elle était venue vivre avec moi aux USA elle aurait été traitée de « pute à négros » !
Il rentre à New-York pour finaliser un projet : jouer une musique très différente du be-bop. Il a créé pour cela un nonette expérimental, à l’instrumentarium original. Ce nonette joue un répertoire totalement nouveau, magnifié par de superbes et complexes arrangements (début d’une collaboration féconde avec Gil Evans). Un disque mythique « Birth of the Cool », témoigne de cette singulière (et courte) expérience. La naissance du jazz cool ! Première révolution « davisienne ». Il y en aura beaucoup d’autres. Car tel Picasso et ses multiples « périodes » dans le monde pictural, Miles va changer plusieurs fois de style en proposant d’étonnantes et profondes évolutions de l’univers jazzistique. Miles ne fut pas seulement un génial innovateur, il fut aussi un remarquable « dénicheur » de jeunes talents. Qui, après avoir été découverts et « formés» par Miles deviendront des grands noms du jazz.
La carrière de Miles a, en 45 ans, connu seulement deux vicissitudes: une addiction à l’héroine dans les années 50 et une assez longue et mystérieuse « disparition » de la scène musicale, de 1975 à 1981, principalement due à des raisons médicales.
Miles a « régné », successivement, sur le be-bop, le jazz cool, le hard-bop, le jazz modal, le jazz fusion (très électrique…), puis sur le pop-jazz et même, au crépuscule de sa vie, sur sa dernière et sidérante innovation, le jazz hip-hop (avec des influences rap !). A chaque étape il a enregistré de superbes albums cultissimes comme Kind of Blue en 1959 (avec John Coltrane au saxophone, considéré comme un des albums les plus importants de la musique du XXe siècle), Sketches of Spain (en 1960 avec une sublime version du Concerto d’Aranjuez), Antibes 63 (avec sa dernière « découverte »… un batteur prodige de 16 ans : Tony Williams…), Tutu (tube mondial avec Marcus Miller) et… tant d’autres.
Fascinant: à chacune de ses métamorphoses musicales Miles a changé totalement de look (vestimentaire et capillaire…). Une consultation sur internet des fichiers images de Miles Davis est littéralement sidérante ! A vos claviers…

Pierre-Henri Ardonceau

Les Grands noms du Jazz (15)

ERROLL GARNER (1921/1977)

L’enchanteur
Erroll Garner est né à Pittsburgh. De nombreuses pointures du jazz, de tous styles, sont originaires de cette grande cité de Pennsylvanie. Il est le sixième enfant d’une famille de musiciens : papa, maman, ses trois sœurs et ses deux frères chantent ou pratiquent à un bon niveau un instrument. Tous, sauf lui, ont suivi des cours académiques de musique. Il joue du piano en autodidacte. Fier de l’être. Surdoué, à l’oreille absolue, il refuse les partitions et « joue de mémoire ». Tout jeune il commence à jouer en public dans sa ville natale où il y a de nombreux clubs et il accompagne des chanteuses qui apprécient son sens inné de l’harmonie. Il décide en 1944 de s’installer à New-York. Il y enregistre son premier tube « Boogie Woogie Boogie»: virtuosité et inventivité harmonique impressionnantes. Gros succès. Assez incroyable, il est engagé en 1945, à 24 ans, dans un lieu prestigieux (le Three Deuce, dans la 52 ème rue de Manhattan, surnommée alors « la rue du jazz ») pour remplacer Art Tatum génie du piano jazz. Le club fait le plein chaque soir. A partir de ce moment, sa carrière est lancée. Et pendant plus de trente ans il va enregistrer de nombreux disques qui se vendent fort bien et il va multiplier concerts et tournées qui emplissent les salles dans le monde entier. En 1947 il surprend ses admirateurs en enregistrant un disque avec Charlie Parker, le père du jazz moderne. Surprise car à l’époque il s’était tenu à l’écart des querelles qui enflammèrent les amateurs de jazz autour de la question du  « vrai »  (le jazz classique) et du « faux » jazz (le jazz moderne né autour de 1945) en pratiquant… « son » jazz. Et uniquement le sien, inclassable… « hors catégories» ! Mais pour ce disque avec Parker il avait exceptionnellement changé son jeu de main gauche très personnel. Au lieu de marquer tous les temps avec celle-ci, comme à son habitude, il avait accepté de jouer dans l’esprit du be-bop : en plaçant les accords de manière discontinue! Il ne rejoua plus jamais comme dans cette séance avec C. Parker !
Erroll Garner mesurait 1m55 . Il trimballait à chaque concert un énorme annuaire téléphonique qu’il posait sur son siège pour se hisser à bonne hauteur de son clavier!
Son style pianistique profondément original s’est tenu en dehors des modes. Il l’a inventé et il s’y est tenu toute sa vie. Il n’a pas été imité. Garner utilise toutes les dynamiques du piano avec maîtrise et finesse. Swinguant, inventif, étincelant, flamboyant. Improvisateur singulier proposant toujours moult moments surprenants : « pyrotechniques », selon la formule d’un célèbre critique de jazz. Sa main droite joue avec un subtil décalage rythmique par rapport à sa main gauche qui marque le tempo de manière imperturbable légèrement en arrière du temps. Décalage créant une aérienne sensation de balancement. A l’écoute de ses disques on ressent ce léger décalage mais… il est difficile de le décrire, de l’analyser simplement. On le ressent. Souvent il chorusait d’une manière assez bluffante avec de longs solos en accords similaires joués des deux mains (nota pour « faire chic »: dire jeu « en block chords » !). Garner a surtout joué en trio (piano, contrebasse, batterie) et parfois en quartet avec l’adjonction d’un percussioniste. Ses accompagnateurs ne prenaient jamais (ou quasiment jamais) de solos. L’accompagner n’était pas tâche aisée : il était connu pour ne pas prévoir les morceaux qu’il allait jouer pendant un concert. Pas de « play list », comme on dit, donnée à la rythmique. Qui plus est, en général ses introductions en solo, étaient assez « délirantes » et ne permettaient pas de deviner le thème qu’il allait jouer…
Un concert triomphal qu’il avait donné en 1955 en Californie a été enregistré et publié. Le disque, « Concert by the Sea », qui en a été tiré s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires à sa sortie. Il continue à se vendre et est considéré par les spécialistes comme l’un des plus importants disques de piano jazz.
Garner a enregistré de nombreux tubes. Souvent des morceaux lents. Comme « Laura », qui s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires, thème d’un  film d’Otto Preminger : arpèges romantiques, lyrisme sans retenue… Il était plus interprète que compositeur (car ne sachant pas écrire la musique, il enregistrait ses idées sur magnétophone) mais avec « Misty » une de ses rares compositions il a signé en 1954 une des plus belles ballades de l’histoire du jazz. « Misty » est devenu un standard repris par de nombreux jazzmen. En 1971 Clint Eastwood a fait de ce thème un motif central de son premier film en tant que réalisateur : « Play Misty for me » (titré en France « Un frisson dans la nuit »). Le succès du film a encore renforcé la notoriété d’Errol Garner. À partir de 1974, atteint d’un cancer des poumons, il ne se produit plus sur scène et meurt en 1977 à 56 ans.

Pierre-Henri Ardonceau

Les Grands Noms du Jazz (14)

DIZZY GILLESPIE (1917/1993)

L’excentrique. Trompettiste virtuose.
Sa trompette au pavillon incliné vers le haut, ses joues gonflées à bloc comme celles d’un crapaud, sa joie de vivre et son humour ravageur sont pour beaucoup dans sa popularité auprès du grand public. Les jazzfans pointus, eux, le vénèrent. Comme l’un des pères fondateurs du jazz moderne dans les années 40. Son style spectaculaire, original, expansif et… joyeux, en concert comme dans les enregistrements de sa longue carrière, les séduit et les enthousiasme.  Enfin, pour ses pairs, il est considéré comme un virtuose hors normes. Sa virtuosité qui exploite toutes les possibilités sonores de la trompette, jusqu’à ses notes les plus hautes, se caractérise par un jeu risqué, rapide, acrobatique, impressionnant…
Trompettiste, mais pas que. Dizzy était aussi… chanteur (désopilant !), compositeur prolixe (cf entre autres son célébrissime thème « A night in Tunisia ») et chef d’orchestre (petites formations et big bands).
John Birks Gillespie, son véritable patronyme, est le benjamin d’une famille de musiciens de neuf enfants. Initié à la musique dès l’âge de 4 ans il débute au trombone mais très rapidement, à 12 ans, il choisit définitivement la trompette. Boursier il est admis dans un un cursus d’études musicales de haut niveau… qu’il abandonne à 18 ans pour devenir musicien professionnel.
A 20 ans il débarque à New-York où il multiplie les expériences en jouant dans différentes formations. Il s’y fait remarquer, pas seulement comme excellent instrumentiste (impressionnante vitesse de jeu, improvisations débridées…), mais aussi par ses multiples facéties ! Son côté farceur lui valent le surnom de « Dizzy »… « Diz » dans l’argot des jazzmen d’alors était synonyme d’un peu « cinglé » ! Dizzy : « tout fou mais… pas fou ! », comme l’a écrit un de ses biographes.
Cab Calloway très populaire à la fin des années 30. En 1939 il engage Dizzy dans son grand orchestre. Il a 22 ans. Il reste presque 3 ans avec Cab Calloway, en dépit de leurs relations, humaines et musicales, pas vraiment très chaleureuses… Calloway trouve que les solos de Diz ressemblent à de la « musique chinoise » ! Mais surtout, les farces quotidiennes de Dizzy l’agacent…. Notamment des jets de boulettes de papier dans le dos du « chef » pendant les concerts… Dizzy est finalement licencié. Mais ses qualités de soliste et de bon « lecteur » de partitions lui permettent de retrouver immédiatement de nombreux engagements. Comme, entre autres, avec Ella Fitzgerald, Coleman Hawkins, Earl Hines ou Duke Ellington.
Au milieu des années 40 Dizzy participe très activement à la naissance du style be-bop (le jazz moderne). Fort tard dans la nuit (« after work »… après le boulot « alimentaire »!) de jeunes et talentueux musiciens se retrouvent dans quelques clubs new-yorkais pour de légendaires jam-sessions. Charlie Parker, Thelonious Monk, Kenny Clarke, Charlie Christian, Bud Powell et beaucoup d’autres inventent ainsi, en improvisant, une nouvelle forme de jazz. Tout en prolongeant toutes les qualités du jazz classique (le jazz swing des années 30) ils innovent : vitesse d’exécution, acrobaties musicales, harmonies originales… Dans la foulée en 1947 Dizzy introduit des rythmes venus de Cuba dans le jazz en intégrant de spectaculaires percussionnistes dans ses groupes. Bingo ! Be-bop et jazz afro-cubain : deux musiques qui vont le faire triompher dans le monde entier.
Venu à Paris en 1948 avec son grand orchestre, composé de jeunes be-boppers, Dizzy a déclenché une bataille d’Hernani… Des intégristes du « vrai jazz » se sont violemment affrontés verbalement (et même, paraît-il, un peu, physiquement) dans les couloirs de la Salle Pleyel avec les modernistes fans du be-bop. Dizzy avait mis « à feu et à sang » le petit monde du jazz parisien ! Dans ses mémoires (To Be or Not to Bop) il a raconté que cela l’avait beaucoup amusé !
Avec une personnalité aussi flamboyante, drôle et emblématique que Dizzy le jazz moderne a été très vite programmé, sans problème, dès les années 50 dans moult concerts et festivals à travers le monde.
A ce propos un bel exemple, tout près de Pau : Jazz in Marciac. Au début, à partir de 1978, les fondateurs du festival gersois avaient décidé d’axer leur programmation sur le jazz traditionnel. Mais découvrant que Juan les Pins, Nice, Nimes avec des têtes d’affiche « modernes » obtenaient des audiences fort importantes, il fut décidé d’ouvrir Marciac au jazz moderne… Qui fut choisi pour cette ouverture ? Dizzy bien sûr ! Et, en 1985, sous un petit chapiteau Dizzy a fait un malheur. Il est revenu ensuite plusieurs fois, avec grand succès à Marciac, dans différentes formules. Et sous des chapiteaux de plus en plus grands…
En 1956 les Etats Unis l’ont nommé officiellement, « Ambassadeur du jazz », pour faire connaître le jazz dans le monde. Choix judicieux.
En 1964 il s’était déclaré candidat à l’élection présidentielle américaine. Toujours son sens de l’humour, dans son programme: rebaptiser la Maison Blanche pour en faire la Maison du Blues !
Il adorait la France qui le lui rendait bien. Lors d’un Grand Echiquier, Maurice André l’immense trompettiste classique qui considérait Armstrong et Gillespie comme des génies de la trompette, avait « coudé » en direct dans un grand éclat de rire, en le tordant, le pavillon de son instrument pour rendre hommage à Dizzy !

Les Grands Noms du Jazz (13)

JOHN COLTRANE (1926/1967)

Génie foudroyé.
La vie de John Coltrane, géant du saxophone, est un étonnant roman d’apprentissage. Une lente progression vers les sommets. Aux côtés de très grands musiciens qui l’ont adoubé. Après des débuts modestes au saxophone alto dans différents petits orchestres de rythm and blues, il est engagé en 1949, au saxophone ténor, dans le grand orchestre de Dizzy Gillespie. Puis, après avoir joué dans différents groupes de « be-bop » (le jazz moderne) il est recruté en 1955 par Miles Davis. Tournant décisif dans la carrière de « Trane » (son surnom).
Miles Davis, exceptionnel découvreur de talents pendant toute sa carrière, a perçu les immenses qualités de Coltrane. Dans son mythique quintet du milieu des années 50 Miles Davis joue habilement du contraste entre son jeu cool et concis et celui de Coltrane volubile et puissant.
Mais comme Charlie Parker, que Trane admire profondément, il « tombe » dans deux addictions profondes: alcool et héroïne. Miles victime quelques années auparavant des mêmes tourments, avait su s’en « sortir ». Par une méthode assez incroyable, dite de la « cold turkey » (la dinde froide!). Celle ci consiste, sans entrer dans une longue cure de désintoxication médicale, à se faire enfermer, sans nourriture et sans drogues, à double tour dans une pièce pendant quelques jours. Au prix de souffrances terribles. Les proches n’ouvrant la porte que lorsque le « drogué » annonce qu’il n’est plus en manque…
Coltrane, ne cherchant pas à se désintoxiquer et ayant un comportement par trop erratique est viré du quintet par Miles… après que Miles l’eut giflé publiquement !
En 1957 Trane va mieux. Il explique : « J’ai fait l’expérience, grâce à Dieu, d’un éveil spirituel qui m’a mené à une vie plus riche, plus productive. Je lui ai humblement demandé que me soient donnés les moyens et le privilège de rendre les gens heureux à travers ma musique». Thelonious Monk l’engage dans son quartet dans un club new-yorkais qui fait le plein tous les soirs pendant plus de six mois… Témoignages unanimes des présents : «magique, superbe, inoubliable ». La même année Trane enregistre plusieurs albums dont son premier chef d’oeuvre sur le prestigieux label Blue Note : « Blue Train »…
Coltrane ayant enfin « décroché », Miles Davis le « récupère »… S’ouvre alors une période incroyablement féconde, symbolisée, entre autres, par le cultissime album de 1959 : « Kind of Blue ». Où Trane joue des solos somptueux.
Toujours en 1959 (année charnière dans sa carrière) Coltrane enregistre « Giant Steps ». Le titre n’a pas été choisi par hasard ! Des pas de géant… C’est sa première déclaration de guerre aux improvisations trop formatées. Trop prévisibles. Il désire désormais aller au-delà du système harmonique du be-bop… A l’époque, « Giant Steps » a « traumatisé » moult saxophonistes…
A Olympia en 1960 lors d’un concert avec Miles, Trane joue de très longs solos incendiaires… Sous les huées et les sifflets. « Ils m’ont sifflé parce que je ne suis pas allé assez loin ! » déclare t-il, imperturbable…
En avril 1960 il quitte M. Davis et crée un superbe quartet avec Mc Coy Tyner au piano et Elvin Jones à la batterie. Deux « pointures ».
L’ère coltranienne, à la beauté compulsive, débute… Pendant 7 ans ce quartet va enregistrer de très nombreux et superbes albums et donner des concerts dans le monde entier.
Sous la plume des critiques de jazz les commentaires élogieux et enthousiastes abondent : tornade fiévreuse, force dionysiaque du souffle, grande amplitude du son (tessiture de plus de 3 octaves !), musique incandescente… Mais pas que…
Car en 1961, surprise : il enregistre au saxophone soprano, qu’il vient d’adopter, une version sereine et émouvante d’une chansonnette : « My favorite things ». Enorme succès. Sonorité et phrasé à mille lieux du style de S. Bechet, le grand maître du soprano jusqu’alors!
Duke Ellington, esprit ouvert et arbitre des élégances dans le monde du jazz, souhaite, en 1962, produire un disque avec lui… Reconnaissance somptueuse et… pied de nez aux amateurs intégristes du « vrai » jazz qui à l’époque dénigrent violemment Coltrane.
Coltrane travaillait intensément et inlassablement sa technique instrumentale. Selon ses proches, il s’endormait souvent son saxophone en bouche! Il essayait sans cesse toutes formes d’anches et de becs cherchant sans relâche le son qui lui conviendrait à la perfection…
Son mysticisme s’amplifiant, en 1965, il écrit une longue partition d’une quarantaine de minutes dédiée à Dieu : « A Love Supreme ». Il la joue en juillet 65 au festival d’Antibes. Déclenchant de violentes polémiques chez les spectateurs décontenancés par cette œuvre inconnue et renversante.
A la fin de sa vie J.C. (ses initiales… pas un hasard!) à la recherche d’un langage universel, s’intéresse aux musiques indiennes et africaines, aux expériences mystiques. Il veut résumer toutes les musiques en un seul cri qui soit message d’amour.
Ce qui l’amène, paradoxalement, vers une forme radicale du free jazz : le free-cri. Beaucoup d’amateurs de jazz ne retiennent que cette dernière étape. Oubliant, injustement, les nombreux chefs-d’oeuvre sereins qui ont jalonné sa superbe carrière. Tout au long de laquelle il a toujours magnifié les racines du blues qu’il a transcendées.
Il meurt en 1967, à 41 ans, d’un cancer du foie. Epuisé. La veille de sa mort il travaillait encore, dans d’atroces souffrances, sur les maquettes de son dernier disque.

Pierre-Henri Ardonceau