LES GRANDS NOMS DU JAZZ (6)

COUNT BASIE (1904/1984)

ATOMIC Mr BASIE !

Un des disques les plus célèbres de Count Basie (sorti en 1958) s’intitule « The Atomic Mister Basie ». La plupart des thèmes de cet album sont joués sur des tempos ultra-rapides. Véritablement « explosifs » !
En France le grand public va découvrir le nom de Count Basie, paradoxalement, avec une mélodie voluptueuse, jouée sur un tempo ultra lent, « Lil Darlin », le douzième et dernier morceau du 33t. En 1961 Henri Salvador en donne une superbe et langoureuse adaptation : « Tous les matins quand j’sors du lit/Je mets un disque de Count Basie/Il ne m’en faut pas davantage/Pour m’enlever tous mes soucis/Juste un p’tit disque de Count Basie/Un bon p’tit disque de Count Basie/ Basie! Oui! ». Les paroles françaises sont signées Frank Ténot et Daniel Filipacchi, les animateurs de la mythique émission d’Europe 1: « Pour ceux qui aiment le jazz » !
C’est donc grâce à Salvador, ultra populaire dans les années 60, que le patronyme de William Basie dit Count, est devenu connu dans l’hexagone. Bien au delà du tout petit monde des jazzfans premium français. Mais, dans le monde entier, les passionnés de jazz, et ce, depuis la fin des années 30, considéraient déjà Count Basie comme un très grand nom du jazz. Rival de Duke Ellington. Rivalité très amicale puisque les deux grands orchestres enregistrèrent même ensemble en 1961 un assez incroyable disque « The Count rencontre The Duke » ! Basie et Ellington : deux talentueux pianistes et chefs d’orchestre, reconnus unanimement comme deux très grands maîtres du jazz swing.
Le parcours de Basie est singulier. Dans les années 20 il vit à Harlem, haut lieu du jazz naissant. Il y fréquente des grands pianistes (comme Fats Waller) et écoute leurs conseils… Mais sa carrière va décoller lorsqu’il décide de s’installer à Kansas City en 1928. S’il est bien connu et incontestable que La Nouvelle Orléans, Chicago et New York ont joué une rôle capital dans la naissance et le développement de la musique de jazz, la place de Kansas City dans l’histoire de la musique afro-américaine est moins notoire. Pourtant cette grande cité/carrefour située au centre des USA, sur la route entre New-Orleans et Chicago, connue au début du XXème siècle pour sa vie nocturne effrénée, est dans les années 30 le théâtre d’une intense activité musicale créative. Clubs et salles de concerts y sont fort nombreux et programment beaucoup d’orchestres de qualité. La ville devient laboratoire et vitrine de la musique noire en évolution. Le jazz dit « de Kansas City », y apparaît. C’est le middle jazz : le jazz du milieu ! Entre le jazz nouvelle-orléans né au milieu des années 20 et le jazz moderne à venir, dans les années 40.
La spécialité de Kansas City ce sont les jam-sessions (jam=mélange !), décrites par les historiens du jazz comme homériques et marathonesques. Les jams sont les moments où s’affrontent, se défient et se mélangent, jusqu’à l’aube, après le « travail ordinaire », les musiciens de différents orchestres programmés en ville ou de passage… En quelque sorte l’« after work » de l’époque !
Count Basie s’intègre progressivement à plusieurs orchestres novateurs de Kansas-City et devient très recherché pour ses qualités d’accompagnateur et de soliste. La mort du leader du grand orchestre dans lequel il joue l’amène à le remplacer puis à créer son propre grand orchestre, pour lequel il recrute moult talentueux saxophonistes « velus ». Un saxophoniste « velu », spécialité de Kansas City, a un gros son chaleureux, puissant, très « hot »… Impressionnant. Basie en emploiera pendant toute sa carrière. Mais il est très ouvert et il utilisera aussi des saxophonistes au jeu plus « cool ». Comme son ami le célèbre saxophoniste Lester Young au son « détimbré », et au vibrato léger. Basie jouera subtilement des contrastes entre ses différents saxophonistes « hot » et « cool »…
Etonnant : le guitariste Freddie Green, véritable métronome humain jouera, indéfectiblement, aux côtés de Count. Hyper efficace pour assurer le bon tempo de l’orchestre. Sans jamais prendre de solos !
Jusqu’à la fin de sa vie Basie se produira avec ses big bands, magnifiques « usines à swing ». Dont une des spécialités était l’utilisation massive, dans les arrangements, de riffs. Le riff est une courte phrase mélodico-rythmique, jouée plusieurs fois d’affilée… Hyper swinguante.
Au piano Count jouait d’une manière très économe. Mais spectaculaire… Avec deux doigts et 3 notes ultra simples, « clinq, clinq, clinq », Count offrait plus de musique que certains virtuoses « speedés » du clavier !


Pierre-Henri Ardonceau

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