LES GRANDS NOMS DU JAZZ (9)

Benny Goodman (1909/1986)

Le jazz au Carnegie Hall de New York !
Fils de modestes immigrants juifs de l’Empire Russe, Benny Goodman, neuvième enfant d’une fratrie de 12, naît dans le ghetto de Chicago en 1909. Il apprend tout jeune la technique de la clarinette avec l’orchestre d’une synagogue. Surdoué, il devient professionnel à 15 ans et participe activement à l’effervescente vie musicale de Chicago dans les années 20. Il joue beaucoup, déjà, dans les cabarets, les studios d’enregistrement et sur les bateaux qui sillonnent les Grands Lacs. À 20 ans, il s’installe à New York et y fonde, 5 ans plus tard, son premier grand orchestre.

La folie du swing

Dans les années 30 le jazz « swing » triomphe aux USA. C’est la « swing craze » : la folie du swing. Le jazz est « partout » : bals, clubs, concerts, bandes-son de films à succès, enregistrements de 78 tours et… émissions de radio très écoutées sur tout le territoire américain. Goodman est omniprésent sur tous ces créneaux. En 1935 il se voit confier à la N.B.C., station de radio très réputée, l’émission la plus populaire du samedi soir : « Let’s Dance ».
Ses succès multiformes reflètent à la fois l’attractivité de son exceptionnelle virtuosité à la clarinette, la naissance d’un nouveau style spectaculaire très dansant de grand orchestre et l’amorce de la reconnaissance, du jazz comme musique « sérieuse » par les élites blanches.
Goodman sait s’entourer. Étonnant « dénicheur » de talents il s’assure de la collaboration des meilleurs arrangeurs de l’époque et recrute les solistes les plus talentueux de la scène jazz des années 30. Pas seulement pour son big band mais aussi pour ses petites formations (trio, quartet, quintet, sextet) qui triomphent dans les concerts et les enregistrements. Comme Lionel Hampton, génie du vibraphone jazz et Gene Krupa l’impressionnant virtuose de la batterie. Hampton est noir, Krupa blanc. Ce qui amène à évoquer une autre facette remarquable de la personnalité de B. Goodman. Ses fortes convictions antiracistes le conduisent à délibérément militer contre la ségrégation raciale, encore omniprésente à cette époque, en créant des groupes mixtes. Comme dans son superbe quartet composé de deux Afro-Américains (Hampton au vibra et Teddy Wilson au piano) et deux Blancs (Goodman lui-même à la clarinette et Gene Krupa à la batterie). Si un mec me dit « Qu’est-ce que tu fous avec ces négros ? Je lui fous mon poing dans la gueule… » a-t-il déclaré dans une interview.

Un concert historique

Goodman obtient la consécration absolue en étant programmé, le 16 janvier 1938, dans le temple de la musique classique qu’est le Carnegie Hall, siège historique de l’Orchestre Philharmonique de New York, institutionnellement dédié aux concerts élitistes new-yorkais. La bonne société new-yorkaise qui jusqu’ici considérait le jazz comme un plaisir de « bas étage » (le jazz est encore souvent perçu à l’époque chez les conservateurs comme la « musique du diable ») découvre avec stupeur et plaisir que le jazz peut, en smoking et nœud papillon, se transformer en divertissement de « bon ton ».
L’immense salle (2 670 places) est pleine à craquer… Le grand orchestre de Goodman est composé d’une trentaine de stars du jazz de l’époque dont des membres éminents des groupes de Count Basie et Duke Ellington. Les 2 heures 30 du concert sont diffusées à la radio en direct. Ce concert historique se termine par une version flamboyante et mythique de plus de 12 minutes du thème très dansant « Sing Sing Sing » (composé par Louis Prima). Triomphe médiatique.
Dans la foulée, les médias américains sacrent Benny Goodman « King of Swing ». L’enthousiasme du public et des journalistes contraste avec les réserves que des jazz-critics – notamment français – n’ont cessé depuis d’exprimer. De nombreux musicologues et historiens du jazz considèrent en effet que d’autres grands jazzmen à l’époque « swinguaient » plus et mieux que lui… Certains « racistes à rebours », avec une vision « génétique » du jazz, comme Hugues Panassié en France, affirmèrent même, en le prenant comme exemple, que les Blancs ne pouvaient pas swinguer !

Oublions ce débat car il est incontestable que dans l’histoire du jazz, Benny Goodman fut un important soliste à la clarinette mais aussi un chef d’orchestre charismatique.

Plusieurs millions d’exemplaires !

Pour de complexes raisons techniques et juridiques le concert du Carnegie Hall de 1938 n’a été publié en microsillon que beaucoup plus tard. Il s’est vendu depuis à plusieurs millions d’exemplaires !
B. Goodman a joué dans quelques films à succès et Hollywood lui a consacré un « biopic » en 1956.
Il interprétait aussi à très haut niveau des œuvres de musique classique et de prestigieux compositeurs comme Béla Bartok ont écrit pour lui.
Dans les années 60 il a été nommé Ambassadeur du Jazz Américain par le gouvernement US. Étonnant… À ce titre, il s’est produit, avec succès, en URSS en pleine guerre froide, alors que ce pays à l’époque fustigeait le jazz !

Pierre-Henri Ardonceau

Les Grands Noms du Jazz (8)

CAB CALLOWAY (1907/1994)

Cab Calloway (1907/1994)
« Mr. Hi. De. Ho. »
Sorti en 1980, « Les Blues Brothers » est un film culte pour les amoureux du rhythm and blues, de la soul music, du blues et du jazz. Le disque de la bande originale de ce long métrage s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en France! Au générique, de très grands noms : James Brown, Aretha Franklin, Ray Charles, John Lee Hooker et… Cab Calloway !
Au début des années 80 Cab Calloway a 73 ans et il n’est alors pas connu du grand public.
Mais la longue séquence où il interprète son tube « Minnie the Moocher », dans une grande salle de concert emplie de jeunes gens surexcités, a marqué, durablement, pas seulement les millions de spectateurs présents dans les salles obscures mais aussi les très nombreux fans qui l’ont vu ou revu lors de multiples diffusions TV et séances de joyeux visionnages du DVD avec amis et…famille. Ce film est consensuel et trans-générationnel…
Le refrain de Minnie The Moocher est « scatté » (chanté en onomatopées). La surprenante formule « Hi De Ho » (prononcée: « aïe-di-oh » !), répétée moult fois, est reprise en choeur avec enthousiasme, dans un énorme éclat de rire par le public…
Aux USA, en 1931 la popularité de « Minnie The Moocher » créée et chantée par Cab Calloway était telle, que son interprète fut surnommé : « The Hi-De-Ho Man » !
La participation de Cab Calloway aux « Blues Brothers » marque le début d’une renaissance… Qui va se prolonger ensuite pendant une bonne dizaine d’années. Il chanta et dansa sur scène jusqu’à plus de 80 ans…
La carrière de Calloway a connu des hauts et des bas…
Dans les années 30 il est ultra populaire. C’est l’époque du jazz « classique », celle de l’ère du swing (la « swing era » comme disent les érudits, pour faire chic…). En Amérique du Nord ce jazz « facile » et dansant est alors « partout » : concerts (aussi bien en clubs que dans des salles immenses), émissions de radio, bals, opérettes de Broadway, films… Le jazz est incontestablement la « bande son » de cette période.
Tout jeune Cab Calloway n’aime pas l’école… La rue est son royaume. Il joue, un peu, en dilettante, de la batterie. Sa soeur ainée Blanche Calloway, qu’il admire, est fort connue dès 1921. Elle joue dans des comédies musicales où tous les protagonistes sont afro-américains. Il la supplie de lui trouver un petit rôle… Il accepte même pour cela de suivre quelques cours de chants… Il a à peine 15 ans lorsqu’elle réussit à le faire recruter. Bingo… Fasciné par le monde du spectacle il persiste et signe. Il se « fabrique » très vite un personnage assez incroyable de chanteur et danseur excentrique. Tout jeune on le trouve dans les « batailles » de grands orchestres dans les prestigieux cabarets d’Harlem. A 21 ans il est embauché au fameux Cotton Club avec un « big band » qu’il vient juste de créer… En remplacement de Duke Ellington parti en tournée ! Il se trouve ainsi mêlé à de sombres batailles entre les gangsters propriétaires de ces clubs harlemites. Ses biographes racontent que cela ne lui déplait pas… Flambeur, joueur impénitent (dés, courses, poker), grand séducteur se posant même parfois en « protecteur » (!) de belles jeunes femmes.
Pendant toutes les années 30, avec son grand orchestre, il « règne » sur Harlem. Mais pas que ! Tournées triomphales aux USA et en Europe, ventes énormes de 78 tours, vedette de courts métrages et de films hollywoodiens à succès. Il collectionne les « tubes ». La presse people de l’époque le met souvent en une…
La clientèle uniquement blanche (ségrégation oblige) et riche des clubs chics d’Harlem adore s’encanailler en l’écoutant pratiquer le « jive », l’argot branché des afro-américains, plein de sous-entendus sexuels… Il fume de l’herbe et sniffe de la coke. Dans un court métrage il le montre même explicitement…
Il popularise le « zoot suit ». Une tenue vestimentaire extravagante que portent tous les branchés de l’époque. Veste descendant largement en dessous des genoux, pantalon large mais resserré au niveau des chevilles, chaine à la ceinture… En France pendant l’occupation les zazous qui adoraient Calloway et le jazz imitèrent ses tenues vestimentaires.
Puis… vint le déclin. Dettes de jeu, problèmes économiques pour gérer un grand orchestre, naissance du jazz moderne… Il se retrouve au creux de la vague… Il est même obligé un temps de se produire « en attraction » pendant les spectacles des basketteurs des Harlem Globe Trotters. Une comédie musicale de Gershwin le remet en scène quelques temps… Mais le temps de la gloire semble passé… Jusqu’à la sortie des « Blues Brothers » et au retour des succès mondiaux pratiquement jusqu’à la fin de sa vie…

Pierre-Henri Ardonceau

Séquence culte du film les Blues Brothers

27/01/2024 Journée Big Band à Tarnos

Samedi 27 janvier à 20h30 Salle Maurice Thorez à Tarnos 
4 saisons du jazz

« Journée big-band »

1ère partie : Big-band cote sud
Le Big Band Côte Sud est une formation de Jazz, composée d’une vingtaine de musiciens de la région Aquitaine, qui a été créée en 1983.

Son but premier est de promouvoir la musique partout où il se produit, en interprétant les arrangements des grands standards du Jazz écrits par les plus célèbres compositeurs tels Count Basie, Duke Ellington, Glenn Miller, Woody Herman, Quincy Jones… 
 La formation est dirigée par Pascal Drapeau, trompettiste et arrangeur de grand talent, qui proposera pour ce concert des arrangements du grand Quincy Jones.

2ème partie : Orchid Big-band
L’Orchid est un grand ensemble moderne, qui puise à la source des big bands de jazz de la grande époque mais aussi de la musique savante européenne, des musiques du monde et même de ses homologues américains (Maria Schneider, Kenny Wheeler), jusqu’à la musique d’aujourd’hui. Cette formation jeune et paritaire rassemble 19 musicien·ne·s passionné·e·s par le jeu en groupe et la musique originale. Portée par l’enthousiasme de ses membres, elle déploie une énergie rare en concert, de paysages oniriques en tuttis enfiévrés.

Lieu : Salle Maurice Thorez
Renseignements / Réservations :05 59 64 34 45
Tarifs : Entrée générale 12€ / Réduit 9€ / Gratuit -12 ans

A noter également un concert gratuit du big-band de l’école municipale à 11h le samedi 27 janvier dans le hall de l’hotel de ville.

LES GRANDS NOMS DU JAZZ (7)

FATS WALLER (1904/1943)

Fats Waller (1904/1943)
Le jazz joyeux

Thomas Wright Waller, dit « Fats », pianiste virtuose, organiste et vocaliste hilarant, est l’une des figures les plus insolites et influentes du monde du jazz.
Grand (1,90 m) et massif, il pesait selon ses biographes plus de 130 kilos. D’où le surnom de « Fats »…
Il est mort, célèbre et populaire, à 39 ans. En pleine gloire.
Son histoire est étonnante à plus d’un titre.
Sa famille vit à Harlem. Tout jeune il joue de l’harmonium et de l’orgue dans l’église de son père qui est pasteur. Les oeuvres de Bach, qu’il interprète « à l’oreille », le fascinent. A 14 ans, il gagne un important concours de jeunes talents, ce qui lui procure ses premiers engagements professionnels. A 15 ans il est recruté comme pianiste et organiste pour accompagner les films muets. Le cinéma n’est pas encore parlant, il ne le deviendra qu’en 1927.
Puis, très vite, Fats joue et chante dans différents petits clubs de jazz de Harlem.
Avant la seconde guerre mondiale, le quartier new-yorkais de Harlem, est un des hauts lieux de la culture afro-américaine. Le jazz y est omniprésent : dancings, théâtres, cabarets…
Après le travail (« after work »), les musiciens new-yorkais se réunissent et jouent, pour le plaisir, jusqu’à l’aube, dans leurs appartements d’Harlem. Dans ces soirées privées Fats Waller se distingue par son jeu de piano, virtuose et original. Mais aussi par sa manière de chanter, joyeuse et exubérante. Le « buzz » fonctionne à plein régime et… il devient alors très populaire: enregistrements de 78 tours, création de petits orchestres engagés dans des clubs prestigieux, tournées en Europe et aux USA…
Ces petits orchestres de jazz d’alors sont dénommés « combos ». Ils se différencient nettement, à de nombreux points de vue, des grands orchestres, ce sont des petites formations. Cinq ou six musiciens au maximum, versus les 15 ou 20 instrumentistes des big bands !
Au piano Fats Waller pratique le « stride ». Style pianistique en rupture avec le ragtime. Très mécanique le ragtime ne swingue pas. Le stride, oui. Cette approche du clavier tout en souplesse et balancement donne envie de danser et de claquer des doigts… Caractéristiques essentielles du jazz de l’ère du swing.
Le stride de F.Waller est élégant, sophistiqué. Il utilise toute l’étendue, toutes les ressources du clavier. Main gauche puissante, bondissante et main droite toute en légèreté dans les aigus. Soliste imaginatif et généreux.
Fats s’était composé un sacré personnage: chapeau melon incliné de travers, gilet rouge, fines moustaches, oeillades égrillardes, cigarette aux lèvres et bouteille de gin à proximité… Chanteur il métamorphose les rengaines à la mode dans un style gouailleur et facétieux. Il roucoule, claque la langue…
Le grand public adore ses pitreries.
Amuseur certes mais aussi musicien exceptionnel.
Fats a composé près de 400 thèmes et enregistré plus de 700 morceaux ! Certains sont devenus des standards dans l’univers du jazz comme, entre autres, Black and Blue, Honeysuckle Rose ou Jitterburg Waltz (avec ce morceau il est le premier jazzman à avoir fait « swinguer » une valse…).
Il a mis en musique et en paroles le « jive », l’argot très « chaud » d’Harlem. Quelques musicologues pensent même qu’il a préfiguré le rap des années 70 !
Au début des années 40 sa popularité va être enrichie par sa participation aux tournages de nombreux « soundies ». Les soundies sont les ancêtres des scopitones et des clips vidéos. Courts métrages de quelques minutes, réalisés avec peu de moyens, ils mettent en scène un thème musical ou une chanson. Les soundies étaient diffusés avec succès principalement dans des bars et restaurants. On peut visionner sur internet quelques soundies étonnants et drôles de F.Waller. Son aisance sur l’écran a amené les producteurs d’Hollywood à lui proposer de tourner dans des longs métrages à gros budget. Comme dans le chef d’oeuvre « Stormy Wheater » de 1943, où tous les acteurs et musiciens sont afro-américains. Caractéristique exceptionnelle pour une époque où les grands studios hollywoodiens étaient ségrégationnistes.
Ses deux interventions dans ce film sont superbes.
Destin tragique d’un joyeux drille talentueux, quelques mois à peine après la fin du tournage de Stormy Wheater, Fats Waller meurt d’une pneumonie dans le wagon-lit du train qui le ramenait, très malade et affaibli par son alcoolisme chronique, de la côte ouest des USA.
Une foule immense  assiste à son enterrement à New-York.
Un grand nom du jazz, incontestablement, venait de disparaître. A 39 ans.

Pierre-Henri Ardonceau

Quelques vidéos emblématiques de Fats Waller

Your feets are too big (Original Soundie)

version colorisée !!!

Ain´t Misbehavin´ (1943) Tiré du film Stormy Wheater

Honeysuckle Rose (Original Soundie)

This Joint Is Jumpin’ (194) … une « rent party » à Harlem…

I‘ve Got My Fingers Crossed