DJANGO REINHARDT (1910/1953)
LA MARSEILLAISE EN JAZZ !
Django Reinhardt est né dans la caravane de ses parents. Les Reinhardt, musiciens manouches, voyagent. Beaucoup. Tradition oblige. Belgique, Algérie, Italie… avant de se fixer dans la banlieue parisienne. Tout jeune Django joue « d’oreille » du banjo. Son banjo est de qualité médiocre mais son étonnante virtuosité (déjà !) lui permet de faire oublier à ceux qui l’écoutent la piètre sonorité de son instrument. Il devient vite très demandé dans le monde des orchestres musettes, engagé par des accordéonistes qui jouent dans les dancings et bals parisiens populaires des années 20.
Django ne sait ni lire ni écrire. Lorsqu’il enregistre en 1928 son premier disque, l’étiquette du 78 tours mentionne… « Jiango Renard » au banjo ! En cette même année 1928 Jack Hylton célèbre chef d’orchestre anglais l’engage pour une tournée en GB.
Quelques jours avant le départ de la tournée un grave incendie se déclare dans sa roulotte. Les conséquences sont dramatiques: une jambe très abîmée (amputation évitée de justesse) et deux doigts (l’annulaire et l’auriculaire) de sa main gauche mutilés définitivement. Dix huit mois d’hôpital et de clinique, alité, pendant lesquels il s’acharne à rééduquer sa main gauche afin de réussir à jouer de la guitare. Instrument qu’il adopte (et pour toujours…) pendant son hospitalisation. Surdoué, il « invente » sur son lit de douleurs un jeu totalement personnel, sidérant, fluide et agile basé sur des doigtés non-académiques. Jeu adulé par tous les grands guitaristes du monde, toutes générations confondues, qui le considèrent comme un « Guitar Hero ».
En 1930 guéri, rêvant de soleil, il s’installe à Toulon. Port festif où il est immédiatement recruté dans moult orchestres de bals.
En 1931 un peintre toulonnais lui fait découvrir Louis Armstrong et Duke Ellington. Choc. Django est bouleversé par la découverte de la musique de jazz. Très vite, en différents contextes, il adopte un jeu de guitare où il intègre, de manière originale, le balancement rythmique propre au jazz : le swing.
En 1933, avec le talentueux violoniste Stéphane Grappelli, rencontré quelques mois auparavant, il fonde le fameux « Quintet à cordes du Hot Club de France ». Formule originale: trois guitares, une contrebasse et un violon. Pas de batterie. Du jazz sans batteur ! Le rôle du batteur est assuré par deux guitaristes rythmiques qui « font la pompe » (et ne prennent jamais de solos!)… Solistes: Django et Stéphane. Eblouissants. Ils ont découvert ensemble avec ravissement que les sonorités du violon et de la guitare s’entremêlent en une étonnante harmonie.
Pendant plus de dix ans le Quintet du HCF triomphe (et pas seulement en France). Les concerts font le plein partout et les ventes de disques sont importantes. De nombreux grands du jazz américain de passage à Paris pendant les années 30 sont ravis d’enregistrer avec Django.
Pendant la guerre Grappelli est à Londres et Django à Paris où son statut de vedette le protège. De hauts dignitaires de l’armée allemande apprécient sa musique et son « tube » Nuages. Mais à la différence de quelques grands noms français du spectacle il ne collabore pas.
A la fin de la guerre Django et Stephane se retrouvent en studio à Londres. L’ingénieur du son leur demande de jouer quelques notes pour effectuer ses réglages. Spontanément ils jouent et improvisent sur la Marseillaise… Cette improvisation ne faisait pas partie du programme des thèmes prévus pour cette séance… Sur internet on peut écouter cette surprenante Marseillaise sous l’intitulé « Echoes of France ». Démonstration éclatante que les grands jazzmen peuvent improviser et swinguer à partir de n’importe quel matériel thématique !
Invité en 1946 par Duke Ellington pour une tournée aux USA Django revient au bout de quelques mois déçu, pour de très nombreuses raisons, par son expérience américaine. Venu sans sa guitare il pensait que les fabricants américains de l’instrument se précipiteraient pour lui en offrir une… Que nenni… Pour un important concert avec Ellington au Carnegie Hall il arrive très en retard à la toute fin du concert. Grande colère de Duke. Django avait rencontré Marcel Cerdan dans un bar. En fêtant de manière un peu trop arrosée ces retrouvailles il avait oublié l’heure du concert!
A son retour des USA son caractère fantasque et ses foucades nuisent à sa carrière qui devient imprévisible et chaotique. Il ne joue que quand il en a envie… mais toujours aussi bien. Il n’honore pas certains contrats. Son imprésario s’arrache les cheveux.
Il se retire à la campagne et passe ses journées à jouer au billard et à aller à la pêche. Mais en 1953 il surprend une fois de plus le petit monde du jazz en enregistrant un superbe disque de… jazz moderne ! Quelques mois avant de décéder d’une congestion cérébrale. Un génie de la guitare disparaissait: à 43 ans…
Pierre-Henri Ardonceau