Les Grands noms du Jazz (16)

MILES DAVIS (1926/1991)

Le Picasso du Jazz
Miles Davis est une figure incontournable du jazz. Un des très rares jazzmen dont la popularité va bien au-delà du public des jazzfans. A plusieurs reprises, en à peine une cinquantaine d’années, Miles Davis a totalement « chamboulé », le paysage du jazz moderne. Enfant du be-bop il va être l’inventeur et le propagateur brillant et séduisant de plusieurs styles novateurs.
Fils d’un dentiste aisé et cultivé de l’Illinois, Miles Davis commence à jouer de la trompette à l’âge de treize ans et devient professionnel à 16. Il découvre, émerveillé, le jazz moderne lorsque Charlie Parker et Dizzy Gillespie jouent dans le cadre d’une tournée à St Louis, sa ville natale. Il décide en 1944 de les rejoindre à New-York. Son père finance son installation ainsi que son inscription, fort coûteuse, dans la prestigieuse école musicale Juilliard. Les études à la Juilliard ne le passionnent guère. Il participe aux fameuses jam-sessions nocturnes du « Minton’s », le club où est né le jazz moderne (le be-bop). « J’ai plus appris en une nuit au Minton’s qu’en deux ans d’études à la Juilliard School ! » a-t-il écrit dans ses mémoires. Il désire ardemment rencontrer C. Parker son idole. Il le cherche chaque soir dans les clubs où il est censé jouer. Mais Parker, déjà prisonnier de ses addictions multiples, est difficile à « localiser » dans ses erratiques déambulations new-yorkaises. Leurs premières rencontres déconcertent Miles. Parker est semi-clochardisé. Imprévisible ! Mais, même « déglingué », Parker est lucide. Il conseille Miles : « Ne te défonce jamais, ce n’est pas la dope qui donne le talent ! ». Miles n’a malheureusement pas toujours écouté ce conseil… Dizzy Gillespie fait partie en 1944 du quintet de Parker mais très vite il ne supporte plus ses excès et errances. Il quitte le groupe et… Parker recrute Miles. Ce qui change le son du quintet. Miles ne joue pas du tout comme Dizzy. Il n’en a ni la virtuosité ni la puissance. Il a un son lisse. Il propose un « jazz de brume » très différent du « jazz de braise » des trompettistes be-bop. Son jeu est intériorisé, épuré, sans vibrato, déployant un discours apparemment minimaliste dans lequel le temps semble suspendu. « Ce n’est pas la peine de faire des tas de notes. Il suffit de jouer les plus belles » a-t-il déclaré lors d’une interview.
En 1949 un court séjour à Paris lui « laisse un goût de bonheur ». Sa musique y est bien accueillie et surtout il rencontre Juliette Gréco. Coup de foudre, qui a perduré toute sa vie, pour la chanteuse « germanopratine ». Pas de ségrégation raciste à cette époque dans le milieu qu’il fréquente à Paris (Vian, Sartre…). Il a pour la première fois la sensation, comme il le dira dans son autobiographie « d’être traité comme un être humain ». Très amoureux de Juliette Gréco, il ne l’épousera pas. A l’époque, les unions « mixtes » entre Noirs et Blancs sont encore illégales dans de nombreux États américains. Il déclara à ce propos : si elle était venue vivre avec moi aux USA elle aurait été traitée de « pute à négros » !
Il rentre à New-York pour finaliser un projet : jouer une musique très différente du be-bop. Il a créé pour cela un nonette expérimental, à l’instrumentarium original. Ce nonette joue un répertoire totalement nouveau, magnifié par de superbes et complexes arrangements (début d’une collaboration féconde avec Gil Evans). Un disque mythique « Birth of the Cool », témoigne de cette singulière (et courte) expérience. La naissance du jazz cool ! Première révolution « davisienne ». Il y en aura beaucoup d’autres. Car tel Picasso et ses multiples « périodes » dans le monde pictural, Miles va changer plusieurs fois de style en proposant d’étonnantes et profondes évolutions de l’univers jazzistique. Miles ne fut pas seulement un génial innovateur, il fut aussi un remarquable « dénicheur » de jeunes talents. Qui, après avoir été découverts et « formés» par Miles deviendront des grands noms du jazz.
La carrière de Miles a, en 45 ans, connu seulement deux vicissitudes: une addiction à l’héroine dans les années 50 et une assez longue et mystérieuse « disparition » de la scène musicale, de 1975 à 1981, principalement due à des raisons médicales.
Miles a « régné », successivement, sur le be-bop, le jazz cool, le hard-bop, le jazz modal, le jazz fusion (très électrique…), puis sur le pop-jazz et même, au crépuscule de sa vie, sur sa dernière et sidérante innovation, le jazz hip-hop (avec des influences rap !). A chaque étape il a enregistré de superbes albums cultissimes comme Kind of Blue en 1959 (avec John Coltrane au saxophone, considéré comme un des albums les plus importants de la musique du XXe siècle), Sketches of Spain (en 1960 avec une sublime version du Concerto d’Aranjuez), Antibes 63 (avec sa dernière « découverte »… un batteur prodige de 16 ans : Tony Williams…), Tutu (tube mondial avec Marcus Miller) et… tant d’autres.
Fascinant: à chacune de ses métamorphoses musicales Miles a changé totalement de look (vestimentaire et capillaire…). Une consultation sur internet des fichiers images de Miles Davis est littéralement sidérante ! A vos claviers…

Pierre-Henri Ardonceau

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