Les Grands Noms du Jazz (13)

JOHN COLTRANE (1926/1967)

Génie foudroyé.
La vie de John Coltrane, géant du saxophone, est un étonnant roman d’apprentissage. Une lente progression vers les sommets. Aux côtés de très grands musiciens qui l’ont adoubé. Après des débuts modestes au saxophone alto dans différents petits orchestres de rythm and blues, il est engagé en 1949, au saxophone ténor, dans le grand orchestre de Dizzy Gillespie. Puis, après avoir joué dans différents groupes de « be-bop » (le jazz moderne) il est recruté en 1955 par Miles Davis. Tournant décisif dans la carrière de « Trane » (son surnom).
Miles Davis, exceptionnel découvreur de talents pendant toute sa carrière, a perçu les immenses qualités de Coltrane. Dans son mythique quintet du milieu des années 50 Miles Davis joue habilement du contraste entre son jeu cool et concis et celui de Coltrane volubile et puissant.
Mais comme Charlie Parker, que Trane admire profondément, il « tombe » dans deux addictions profondes: alcool et héroïne. Miles victime quelques années auparavant des mêmes tourments, avait su s’en « sortir ». Par une méthode assez incroyable, dite de la « cold turkey » (la dinde froide!). Celle ci consiste, sans entrer dans une longue cure de désintoxication médicale, à se faire enfermer, sans nourriture et sans drogues, à double tour dans une pièce pendant quelques jours. Au prix de souffrances terribles. Les proches n’ouvrant la porte que lorsque le « drogué » annonce qu’il n’est plus en manque…
Coltrane, ne cherchant pas à se désintoxiquer et ayant un comportement par trop erratique est viré du quintet par Miles… après que Miles l’eut giflé publiquement !
En 1957 Trane va mieux. Il explique : « J’ai fait l’expérience, grâce à Dieu, d’un éveil spirituel qui m’a mené à une vie plus riche, plus productive. Je lui ai humblement demandé que me soient donnés les moyens et le privilège de rendre les gens heureux à travers ma musique». Thelonious Monk l’engage dans son quartet dans un club new-yorkais qui fait le plein tous les soirs pendant plus de six mois… Témoignages unanimes des présents : «magique, superbe, inoubliable ». La même année Trane enregistre plusieurs albums dont son premier chef d’oeuvre sur le prestigieux label Blue Note : « Blue Train »…
Coltrane ayant enfin « décroché », Miles Davis le « récupère »… S’ouvre alors une période incroyablement féconde, symbolisée, entre autres, par le cultissime album de 1959 : « Kind of Blue ». Où Trane joue des solos somptueux.
Toujours en 1959 (année charnière dans sa carrière) Coltrane enregistre « Giant Steps ». Le titre n’a pas été choisi par hasard ! Des pas de géant… C’est sa première déclaration de guerre aux improvisations trop formatées. Trop prévisibles. Il désire désormais aller au-delà du système harmonique du be-bop… A l’époque, « Giant Steps » a « traumatisé » moult saxophonistes…
A Olympia en 1960 lors d’un concert avec Miles, Trane joue de très longs solos incendiaires… Sous les huées et les sifflets. « Ils m’ont sifflé parce que je ne suis pas allé assez loin ! » déclare t-il, imperturbable…
En avril 1960 il quitte M. Davis et crée un superbe quartet avec Mc Coy Tyner au piano et Elvin Jones à la batterie. Deux « pointures ».
L’ère coltranienne, à la beauté compulsive, débute… Pendant 7 ans ce quartet va enregistrer de très nombreux et superbes albums et donner des concerts dans le monde entier.
Sous la plume des critiques de jazz les commentaires élogieux et enthousiastes abondent : tornade fiévreuse, force dionysiaque du souffle, grande amplitude du son (tessiture de plus de 3 octaves !), musique incandescente… Mais pas que…
Car en 1961, surprise : il enregistre au saxophone soprano, qu’il vient d’adopter, une version sereine et émouvante d’une chansonnette : « My favorite things ». Enorme succès. Sonorité et phrasé à mille lieux du style de S. Bechet, le grand maître du soprano jusqu’alors!
Duke Ellington, esprit ouvert et arbitre des élégances dans le monde du jazz, souhaite, en 1962, produire un disque avec lui… Reconnaissance somptueuse et… pied de nez aux amateurs intégristes du « vrai » jazz qui à l’époque dénigrent violemment Coltrane.
Coltrane travaillait intensément et inlassablement sa technique instrumentale. Selon ses proches, il s’endormait souvent son saxophone en bouche! Il essayait sans cesse toutes formes d’anches et de becs cherchant sans relâche le son qui lui conviendrait à la perfection…
Son mysticisme s’amplifiant, en 1965, il écrit une longue partition d’une quarantaine de minutes dédiée à Dieu : « A Love Supreme ». Il la joue en juillet 65 au festival d’Antibes. Déclenchant de violentes polémiques chez les spectateurs décontenancés par cette œuvre inconnue et renversante.
A la fin de sa vie J.C. (ses initiales… pas un hasard!) à la recherche d’un langage universel, s’intéresse aux musiques indiennes et africaines, aux expériences mystiques. Il veut résumer toutes les musiques en un seul cri qui soit message d’amour.
Ce qui l’amène, paradoxalement, vers une forme radicale du free jazz : le free-cri. Beaucoup d’amateurs de jazz ne retiennent que cette dernière étape. Oubliant, injustement, les nombreux chefs-d’oeuvre sereins qui ont jalonné sa superbe carrière. Tout au long de laquelle il a toujours magnifié les racines du blues qu’il a transcendées.
Il meurt en 1967, à 41 ans, d’un cancer du foie. Epuisé. La veille de sa mort il travaillait encore, dans d’atroces souffrances, sur les maquettes de son dernier disque.

Pierre-Henri Ardonceau

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